Le roi Lear

Une tragédie qui s’enlise.

Voilà trente ans qu’Olivier Py couvait Le Roi Lear qu’il mit un an à traduire avant de le publier chez Actes Sud-Papiers et de le mettre en scène dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes en ouverture du Festival d’Avignon.

Trois décennies, c’est long pour mûrir une idée ; un an pour une traduction, pourquoi pas. Mais combien de temps de travail pour préparer ces 2h50 de représentation ? En première approche, on pourrait penser que ce temps a été beaucoup trop court ou du moins mal utilisé. Vous avez certainement « pris votre liberté de metteur en scène face à votre propre texte » – cette phrase n’est pas de moi, mais…

Il est dérangeant.
D’entendre crier voire brailler des comédiens, pourtant sonorisés, pendant un temps si long. La mention spéciale reviendrait peut-être à Matthieu Dessertine – Edgar, le fils légitime de Gloucester. À vouloir s’exprimer avec autant de volume, le jeu se perd et s’égare, cher Edgar. Il est vrai qu’à certains moments où vous portiez votre casque de moto diabolique, votre parole n’en devait être que plus difficile.

Il est dérangeant.
D’entendre Jean-Damien Barbin – Le Fou, déclamer ses paroles en entonnant des chants populaires, ritournelles et autres comptines, suivant cette playlist : Cadet Roussel, À la claire fontaine, Frères Jacques, Il était un petit navire, C’est la faute à Voltaire. Si au moins ces chansonnettes servaient le texte, l’idée serait bien trouvée, mais là, les mots ne font que perdre de leur poids et de leur sens.

Il est dérangeant.
De voir une telle image de la femme sur un plateau, même pour les moins féministes des spectatrices.
Laura Ruiz Tamayo – Cordélia, évoluant dans un petit tutu blanc, est réduite au silence par un gros morceau de Scotch noir dès les premières minutes et ne parlera presque pas du tout. Cette jeune fille s’exprime pourtant dans la traduction écrite, alors pourquoi l’avoir fait taire ? Là est peut-être une des libertés du metteur en scène…
Mais bon, lorsque l’on voit Amira Casar – Goneril et sa soeur Céline Chéenne – Régane se comporter tantôt comme de vraies idiotes ou des furies obsédées, on ne peut qu’être interpellé par cette réduction de la condition féminine.

Il est dérangeant.
De voir un jeu scénique si simpliste par moments.
Cordélia se réduit au silence et s’illumine sur la façade de la Cour d’Honneur cette phrase en néons blancs : « Ton silence est une machine de guerre ».
Arrive le temps de la déperdition du roi Lear, celui de l’orage… Jeu de lumières (les éclairs et la foudre) renforcé par des notes graves du piano (le tonnerre) le tout appuyé par un tuyau d’arrosage (la pluie, donc) qui est au-dessus de la fosse en train de s’ouvrir. Depuis quand ces éléments là relèvent-ils d’une mise en scène digne de ce nom ? La succession de symbolismes simplistes au nom d’une pseudo popularité transformée en démagogie, de sur-jeux surannés au nom d’un héritage anachronique aujourd’hui, tout cela rendu nauséabond par la manipulation populaire opérée par le lieu et l’auteur que vous jouez.
À propos de cette fosse et de son trou, symbole de l’abysse dans lequel plonge tout d’abord le roi et dans lequel sombre et disparaisse tous les morts, oui tous les morts ! L’astuce scénique est bien trouvée mais quelle surexploitation et quelle redondance de voir disparaitre Cornouailles, et Goneril, et Régane, et Gloucester, et Edmond, et le fou pendu, et Lear, et Cordélia, et Edgar.
Autant ces disparitions symboliques sont clairement lisibles mais pourquoi avoir convoqué des miliciens armés de kalachnikovs qui tirent dans tous les sens dans un barouf assourdissant afin de signifier que Lear et Cordélia ont été faits prisonniers ? C’était peut-être l’action, le sur-jeu de trop.

Pou l’unique « pièce de théâtre » programmée dans la Cour d’Honneur, le bilan est bien décevant… Quelle lisibilité a-t-on réellement de la transposition de la tragédie de Shakespeare au XXème siècle et plus précisément entre 1914 et 1989 ?

Monsieur Py, vous le dites : « Les chiens aboient, la caravane passe », vous ne lisez pas les critiques, d’autres le font très bien pour vous… Mais s’il vous plaît, concentrez-vous sur votre travail de Directeur, allez voir ce que font d’autres metteurs en scène, nourrissez-vous du monde qui vous entoure, soyez juste, soyez exigeant, vous le valez bien.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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