On parle de « chaos », d’« émeutes », d’« insurrection ». Ce ne sont pas des manifestations qui s’organisent, mais un mouvement de fond qui déborde, dès son origine, les organisations syndicales et les partis politiques.
Il y a des airs de « révolution » qui se propagent dans les rues de Paris et je me demande jusqu’où le « pouvoir », la caste médiatico-politique qui organise la soumission des peuples aux banques et aux banquiers, s’en inquiète réellement…
Comme nous avons vu à Pau ce 1er décembre, des CRS retirer leurs casques face aux manifestants, au moment de la « montée aux extrêmes », en échange d’un apaisement ; verra-t-on demain la majorité des flics poser les armes, les armures, les insignes, rejoindre les insurgés, redevenir de simples citoyens et, en tant que simples citoyens, redevenir des hommes, laissant l’ignoble oligarchie sans défenseurs, sans chiens de garde ?
D’autant que notre Monarc ne se pressera peut-être pas de recourir à une intervention de l’armée : la Grande Muette ne doit pas manquer de généraux ambitieux qui pourraient vouloir profiter de nos troubles populaires pour organiser (et réussir !) un coup d’État.
Il est encore trop tôt pour dire si nous sommes les témoins d’un évènement historique majeur et déterminant, ou si toutes ces agitations ne sont encore que symptomatiques ; mais si nous sommes en présence d’un mouvement potentiellement « révolutionnaire », aucune hypothèse sérieuse ne doit être écartée.
Au terme de ces trois semaines, menées de front par des hommes et des femmes, peut-être accompagnés par leurs enfants, et visiblement déterminés, ce qui est certain, c’est que nous accédons, du point de vue de la critique, à un degré supérieur de radicalité.
Ce que nous étions une poignée à pressentir il y a de ça une dizaine d’années est devenu une réalité partagée par « une majorité de Français ».
Je pense à Fabrice, le patron du Café de la Poste, que j’ai vu comprendre avec enchantement que la « dette » était en réalité un système de création monétaire par le vide, absolument virtuel, et qui ne posait de problèmes qu’à nous, les crétins du bas de la pyramide ou des couches intermédiaires, qui sommes assez cons ou bien éduqués pour payer. Je dis avec enchantement car je me souviens avoir longuement tenté, durant les élections présidentielles notamment, d’éveiller sa curiosité sur cette subtilité des montages financiers, mais toujours je le voyais biaiser. Je n’étais peut-être pas le bon interlocuteur… Ou c’est, simplement, que le moment n’était pas venu.
Quelque chose progresse et vient à bout, une à une, des résistances que nous opposons toujours aux mouvements de réalité.
Et il est des consciences, confortablement installées dans un a priori de conduites et de réactions, que l’odeur proche de la boue ranime : c’est cela que l’on nomme l’insurrection. C’est un mouvement de fond qui apporte des éclairages inattendus.
Quelque soit le lieu où nous nous trouvons en ce moment (je suis tranquillement chez moi en train d’écrire) laissons-nous surprendre par ce qui advient.
Et nous ne savons pas ce qui advient.
Mais nous approchons de la Noël, du solstice d’Hiver, et je verrais comme un « signe des temps » si le mouvement se poursuivait jusque là. Peut-être verrons-nous s’installer un peu partout en France des dispositifs de type « ZAD » (Zones À Défendre), des foyers vivants de résistance, d’humanité, qui donneraient à ces fêtes de fin d’année des saveurs et des colorations inédites de solidarités, de rencontres en humanité, de communions fraternelles dans la joie du feu de l’épreuve partagée.
Il y a dans ces « mouvements sociaux », quand ils n’émergent pas d’une organisation syndicale mais de la tripe et du cœur de l’homme, une dimension « mystique » incontestable, qui surplombe l’histoire impérialiste de nos égarements géopolitiques ; un « aura » émanant de nos « luttes pour l’émancipation humaine » dont l’incomparable Simone Weil, au cœur des événements de 1936, à Barcelone, porta le témoignage.
C’est cela que je guette, ce quelque chose qui émerge, l’esprit qui souffle à travers les incendies de la révolte, et qui ne date pas du mois d’octobre ; le moment où la Machine, telle un jugement de Descartes, se trouvera « suspendue » ; où les êtres qui animent cette machine, c’est-à-dire nous, les gens, les hommes et les femmes réels, ferons un pas de côté.
Il n’est pas besoin d’un grand pas. Juste de quoi se retrouver dans un interstice, une « zone de non-droit », accident ou ironie de l’histoire.
Image à la Une © Capture d’écran d’une vidéo réalisée par Quentin Top / Dalam à Pau le 1er décembre ; voir le lien ici.