Le bon usage du selfie.
Yayoi Kusama, « The Place of my Soul », Matsumoto City Museum of Art, Nagano, Japon, jusqu’au 26 juin 2016.
Les premières œuvres aux miroirs de Yayoi Kusama (considérée comme l’artiste la plus exposée dans le monde) peuvent aisément renvoyer aux théories de Lacan en particulier à son idée que le reflet est formateur de l’égo puisque toute image simple n’est jamais une simple image. Nous regardant dans un miroir nous nous rencontrons comme une unité déceptive certes, mais créatrice d’une personne entière, d’un « je » simple et complet. Pour multiplier les facettes Yayoi Kusama en accentue les reflets par les jeux de miroirs jusqu’à créer un paysage merveilleux où l’être est à la fois partout et nulle part. Après l’utilisation des miroirs classiques l’apport chez l’artiste du selfie en tant que prolongement des premiers fut capital et le demeure. Celui-ci permet de trouver une autre vision que celle renvoyée par le miroir.
Rappelons que jadis le miroir était interdit aux « vilains » : seuls les nobles puis les bourgeois eurent droit à leur reflet fixé ensuite par l’art du portrait. Celui-ci c’est démocratisé par la photographie puis l’auto-photographie par l’usage du selfie. Ce transfert médiumnique et son déclassement social sont objet de mépris : on veut n’en retenir qu’un mauvais goût. Mais celui-ci peut devenir subversif tant la trans-visibilité anime l’être depuis la nuit des temps. Yayoi Kusama le prouve par son glissement progressif – dans l’art du portrait – d’une technicité de la self-représentation à une autre. Elle permet désormais à tout utilisateur de devenir “performer” de lui-même en s’auto-diffusant sur les réseaux sociaux pour proposer aux autres ses propres genre, classe, sexualité bref son identité. L’art du selfie – du moins tel que le développe Yayoi Kusama – permet donc de donner, en un clic, l’impression d’être artiste créateur d’une autofiction visuelle qui vient créer à la fois illusion et réalité selon un reflet plus éclaté que celui des jeux de miroirs.