À l’intérieur de nos têtes aussi les conflits font rage, tous les jours. Dans la mienne, des rêves à moitié fous côtoient des chaussettes semi-propres et, ensemble, ils luttent contre un ennemi commun invisible. Ils se questionnent sans arrêt mais, surtout, ils boivent de la grenadine pour essayer d’oublier.
C’est une guerre à l’intérieur de l’intime, un conflit quotidien et incessant entre ces gens qui vivent dans mon âme et qui sont bien plus forts à soulever des questions qu’à y répondre. Oui, c’est vrai, c’est bien aussi de se questionner, c’est très certainement un bon début. Sans cette première étape, on peut toujours essayer de vouloir chercher des réponses mais alors… des réponses à quoi au juste ? À quoi bon ?
Ces gens à l’intérieur de ma tête, vous ne les voyez pas mais je vous assure qu’ils sont armés et dangereux ; ils sont complètement malades, ils m’envoient en pleine tête des questions comme des boulets de canon. Ils mettent le feu aux poudres de réflexions anodines qui auraient pu rester tranquillement suspendues, en lévitation dans un espace-temps éphémère et léger. Mais non, ils préfèrent tirer le fil jusqu’à trouver l’endroit où ça coince, l’endroit où ça fait mal, l’endroit où il faudra faire un choix pour pouvoir passer à autre chose. Sans regarder, ils lancent des questionnements existentiels comme ça, comme des pavés moyenâgeux dans une mare de feu. Mais moi je n’ai rien demandé, sans remous c’était bien aussi ! Alors, épuisée, coincée au pied du mur de la vie que j’aime tant, ils s’approchent, s’approchent encore et tirent à l’arc tout autour de moi des questions aussi compliquées que tranchantes.
Le jean attaché à une question-flèche qui m’empêche d’avancer, je n’ai plus d’autre choix que de m’y confronter. Pour tout vous dire – je vois bien que vous regardez du coin de l’œil tous ces petits trous – ce n’est pas la première fois que je me fais avoir. Mais cette fois-ci je les ai reconnus et la prochaine fois, je n’attendrai pas d’être au pied du mur pour leur faire face. Je prendrai mon courage à deux mains, je retrousserai mon jean et j’ouvrirai avec détermination les pourparlers. Lorsqu’on n’est pas bon à la guerre et pas bon à faire des choix, c’est un plus d’être douée en négociations. Je vais essayer encore une fois ou deux et si ça marche, je crois que je le noterai dans mon CV. C’est toujours ça de plus. Il faudra juste que je trouve un intitulé sympa, genre « chargée de négociations ultra difficiles, dangereuses et confidentielles entre moi, moi-même et mon intime ». Généralement, plus c’est long, moins on comprend et plus les gens sont épatés.
Pour le moment, j’ai cet amoncellement de questions devant moi qui m’empêche de voir la route. Je ne vois plus où je mets les pieds, je doute. Je ne sais même pas par laquelle commencer, elles ne font pas vraiment envie. Elles ressemblent à un tas de vêtements qui seraient mi-sales mi-propres. Cette jupe, ce pull, ce voyage, ce déménagement, ce projet, cette envie : est-ce qu’il faut les mettre à laver ou est-ce que je peux les ranger ? Comment savoir ? Ce pull, il ne sent pas mauvais mais il ne sent pas bon non plus, il est juste entre les deux. Et cette envie, elle est un peu folle mais elle fait quand même rêver. Ah, comme c’est compliqué !
Je sais ce qui m’a manqué et ce qui a fait de moi cet être mitigé. À l’école j’ai dû rater le cours de choix ! Ce n’est pas un cours de choix comme on dirait d’un vieux vin qu’il est de choix, c’est-à-dire d’excellente qualité. Non, je parle d’un vrai cours de vrais choix. En classe, le prof dirait : « Sortez vos problèmes et vos questions ! Un par un, nous allons apprendre la méthode de base qui vous servira toute votre vie à décortiquer les interrogations et mener des réflexions intelligentes pour faire les bons choix. » Amen. Et moi, à la place de ce cours merveilleux, j’ai appris les théorèmes de Thalès et de Pythagore que j’ai bien sûr oubliés.
Sincèrement, je pensais qu’écrire ce texte m’aiderait à faire le point, à y voir un peu plus clair sur les choix que j’ai à faire. Je croyais qu’écrire me servirait de thérapie, éclaircirait mon ciel pour un temps et débroussaillerait mon chemin parsemé de doutes et de chaussettes semi-propres. Eh bien, il n’en est rien, j’en suis toujours au même point.
Sur la pointe des pieds et les yeux plissés comme les indiens avec la main sur le front, j’essaye de regarder au loin. J’espère distinguer un bout d’avenir caché dans un coin ou un mec avec un panneau qui me ferait de grands signes en criant « par ici ! ». Le problème c’est qu’il ne fait vraiment pas un temps terrible. Ou alors ça vient des signaux de fumée que j’ai envoyés… Peut-être que j’ai un peu forcé et que je me suis auto-embrumée. Bon, je sais ce que je vais faire. Je vais m’asseoir à l’ombre de ce tas de pulls et boire une grenadine en attendant que l’horizon se dégage. Oui, je sais, c’est un semi-choix.
Image à la Une © Lilia El Golli.