Elle a du Québec, non seulement l’accent et l’origine, mais aussi ce sens si particulier de distiller, pour les conjurer, les températures polaires en musique (ses chansons, c’est pas des chansons, c’est l’hiver).
Nous l’avions rencontrée début juillet, quelques jours après son concert remarqué aux Francofolies de Montréal. Elle nous a parlé de son disque, sorti le 11 septembre, élégamment arrangé par Philippe Brault, de son besoin d’écrire des chansons pour aller bien. Nous aussi, il nous fait du bien, son disque, bouffée d’air frais dans un paysage musical trop uniforme. Bonne route, Safia.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Safia Nolin, je viens de Québec et je fais de la musique, c’est à peu près tout ! J’ai vingt-trois ans.
Parle-nous de ton parcours.
J’ai commencé à jouer de la guitare à environ 17 ans. Pendant quelques années, j’ai appris les chansons des autres, pour m’amuser. Et vers 19 ou 20 ans, j’ai écrit une chanson. Après ça, ma mère m’a inscrite à un concours. Ensuite, j’ai commencé à vraiment faire de la musique et des concerts.
Le concours, c’est celui du festival international de la chanson de Granby ?
Oui ! C’est un bon festival.
Est-ce que tu as gagné ce concours ? Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Ça a complètement changé ma vie ! Je n’ai pas gagné, je ne suis même pas arrivée en finale, mais ce n’est pas si important. Participer, c’était suffisant. L’intérêt de ce concours-là, c’est surtout les rencontres que tu fais, les gens que tu côtoies et qui t’influencent. Donc juste être demi-finaliste, c’est quelque chose de vraiment cool.
L’important, c’est d’être sélectionnée ?
Oui. Rien que de vivre ça, c’est comme « Wow !», c’est vraiment bon ! Surtout quand tu n’as encore absolument rien fait.
Ça t’a permis de te faire connaître ?
Ça m’a surtout permis de connaître du monde, c’est plus ça. J’ai rencontré des gens qui sont devenus mes amis ou qui sont devenus importants dans ma vie musicale. Par exemple, la personne qui a réalisé mon album, Philippe Brault, je l’ai rencontrée là-bas. En plus, c’est la première personne que j’ai rencontré à Granby. Tout ça mélangé ensemble fait que Granby a vraiment été significatif pour moi.
C’est cette rencontre qui a fait que tu as eu un label après, c’est ça ? Et que tu as pris du temps pour faire ton album.
Oui, ça fait deux ans. C’est long. En le vivant, j’ai trouvé ça difficile, mais avec du recul, je suis vraiment contente d’avoir pris autant de temps. J’aurais regretté de ne pas le faire. Je n’étais vraiment pas prête, mes chansons et mes idées non plus. Quand on a enregistré l’album, en février, je savais que j’étais avec les bonnes personnes, à la bonne place, je savais quel son je voulais. Il y a deux ans, un an, ou même deux mois avant qu’on l’aie fait, ça aurait été trop tôt. J’ai écrit une de mes chansons préférées sur l’album une semaine avant de l’enregistrer. Donc le timing était parfait.
Quelle est la couleur de l’album ? Combien y a-t-il d’instrumentistes ?
Je voulais avoir quelque chose de vraiment épuré. On a enregistré l’album en live : on a tous joué en même temps, dans la même pièce. C’était vraiment important pour moi. Je voulais que ça soit brut, qu’on entende des bruits. Il y avait un chat dans le studio, on l’entend ronronner à certains moments. Je voulais que ça soit très vrai — c’est ça qui s’est passé là, à ce moment — parce que c’est ce que j’aime dans les musiques que j’écoute. En plus, dans la vie, j’ai tellement l’habitude de m’enregistrer sur mon Iphone et de faire des reprises sur Youtube où c’est tout croche que j’avais envie qu’il y ait quelque chose de croche dans l’album.
Tu aimes l’imperfection ?
Exactement. J’aime vraiment quand c’est imparfait, pas calculé, quand c’est juste que c’est arrivé comme ça. Pour les musiciens, il y a moi, Philippe joue de la basse, il y a un batteur sur certaines chansons et puis de la guitare électrique.
C’est le même guitariste avec qui tu as joué aux Francofolies ?
Oui, c’est Joseph Marchand. Lui et moi, on s’entend super bien. Je suis vraiment contente de jouer avec lui. Quand on a fait l’album, ce n’était même pas planifié. Ça a juste donné que tu joues sur mon album et puis j’aime vraiment ce que tu fais et puis on s’entend super bien, du coup pourquoi tu ne jouerais pas avec moi ? Il était partant, du coup c’est ce qui se passe !
Justement, pendant le concert, la façon dont vous vous parliez entre les chansons était très naturelle et vous avez géré les petites imperfections avec humour.
Ça ressemble juste à quand on répète ensemble. La semaine dernière, à Laval [dans la banlieue de Montréal, ndlr], j’ai fait le plus gros concert de toute ma vie pour la fête nationale. J’ai chanté une de mes chansons et une reprise. Joseph était là, et la façon dont il m’a présentée, ça a cassé tout mon stress. Il y a un genre de chimie qui fait que quand il me parle comme ça sur la scène, ça me ramène à ça : c’est juste un show, et puis je suis avec mon ami. C’est le fun d’être avec quelqu’un avec qui ça marche musicalement — il m’inspire beaucoup et je le trouve vraiment bon — et qui est en plus un de mes amis proches. Il est vraiment là pour moi quand j’en ai besoin, sur la scène et dans la vie.
Tu as 23 ans, tu as commencé la guitare à 17 ans. Entre temps, il y a eu Granby et tu as pris deux ans pour faire ton album. C’est long, mais en même temps, c’est très rapide comme début de carrière, parce que même si le grand public ne te connaît pas encore très bien, ce n’est pas le cas de l’industrie qui a une très bonne image de toi. Donc c’est déjà un bon début !
C’est rapide, c’est vrai.
Tu as une très bonne réputation. Comment c’est arrivé et quel est ton état d’esprit par rapport à ça ? Parce que tu es aussi remarquée en Europe.
Je suis vraiment contente. Je suis confuse, aussi. Je suis tout le temps confuse à propos de tout, mais là, j’avoue que je ne comprends pas exactement ce qui se passe. Je réalise que je suis chanceuse. J’ai de bonnes relations avec plein de monde. Quand j’ai commencé dans la musique, je n’avais aucune idée de qui était qui. Je suis arrivée à Granby et je ne savais pas qui était Philippe Brault. Mais le courant est passé avec le house band, c’est pour ça qu’ils m’ont aidé à faire une maquette. J’ai vraiment connecté humainement avec eux — je n’étais pas dans le truc de « lui a travaillé avec cet artiste que je respecte beaucoup ». Je pense que c’est pour ça que j’ai de bonnes relations avec tout le monde. Pour moi, c’est juste des amis.
Tu penses qu’ils ont aimé ta simplicité, une certaine naïveté ?
Oui. Je suis pas mal naïve, mais j’étais encore plus naïve il y a trois ans, c’était incroyable !
Même si tu es un peu confuse, est-ce que tu as des rêves ?
Ma mentalité est vraiment bizarre : j’ai des rêves extrêmes. Ma devise dans la vie, c’est que j’aime mieux viser super haut et puis arriver un peu plus bas plutôt que de viser pas trop haut et n’arriver à rien. Je n’aurais jamais atteint cette chose que j’ai réussi à faire si je n’avais pas rêvé encore plus. Plus tu rêves gros, plus tu obtiens ce que tu veux. Techniquement, rien n’est impossible, absolument rien.
Tu abordes beaucoup de thèmes sombres dans tes chansons comme l’hiver, le froid, la solitude. Ça correspond bien à ce qui ce fait dans la folk québécoise. Qu’est-ce qui t’a inspiré ?
C’est vrai que le folk québécois est vraiment triste. J’imagine que c’est à cause du manque de lumière en hiver. Par exemple, je crois que cet hiver a été le pire que j’ai jamais connu. Avec mes amis, on se disait : « C’est moi ou tout le monde est vraiment déprimé en ce moment ? ». C’était horrible.
Je pense aussi que si je ne prends pas les choses négatives qui arrivent dans ma vie pour les transformer en quelque chose d’autre, elles vont rester en-dedans. Je sais depuis longtemps qu’écrire des chansons a cet effet sur moi, mais j’en ai eu la preuve après avoir enregistré mon album : je suis restée cinq jours en studio, ça a été vraiment intense, j’ai pleuré. Quand je suis revenue à Montréal, j’ai fait une énorme crise d’angoisse. Ça m’a pris une semaine puis j’ai écrit une chanson qui a enlevé soixante-dix pourcent de toutes les mauvaises choses que j’avais en moi. Je me sens mieux maintenant et je crois que c’est parce que j’ai continué à écrire des chansons. J’en ai vu l’impact direct. J’ai ça dans la vie, c’est la seule chose qui me fasse du bien aussi rapidement.
Tu as des textes lourds de sens mais en même temps, tu as l’air d’être quelqu’un de très joyeux, très lumineux, qui ne se prend pas forcément au sérieux. Est-ce que au fond de toi, il y a une certaine mélancolie, des choses que tu as vécues qui n’étaient pas très drôles ?
Aucune vie n’est comparable, on a tous vécu des choses qui ne sont pas drôles. Moi, je n’ai pas été heureuse pendant longtemps, de l’enfance à récemment, il y a trois ans, quand j’ai commencé à faire de la musique. Je suis passée d’un gros manque de confiance, de pas d’amis, pas de joie à vraiment beaucoup d’amis et plein de joie. Enfin, j’ai trouvé un but à ma vie. Je fais juste « Wouah » ! Je crois que mon affaire, ça commence tout juste à exploser. J’ai tellement givé un shit [sic]dans le passé à propos ce qu’est le monde que maintenant, peu importe. J’ai passé trop de temps à ne pas être bien. Maintenant, je suis comme ça et foutez-moi la paix, je vais être bien sans tante !
Donc ce n’est pas juste un masque, le fait que tu sois souriante ? Tu es vraiment bien.
C’est sûr que des fois, tout au fond, il y a toujours un petit truc… Mais si je n’avais pas la musique, ça prendrait le contrôle de toute ma vie. Là, c’est minime. J’ai des hauts et des bas, comme tout le monde, mais je suis vraiment heureuse de vivre.
Vive la musique !
Safia Nolin est en tournée France, en Suisse et en Belgique du 2 au 18 décembre. Ne ratez pas les prochaine dates !
04 décembre : La Belle Électrique, Grenoble, FR
05 décembre : La Place, Rennes, FR
07 décembre : La Madeleine, Bruxelles, BE
10 décembre : Les Trois Baudets, Paris, FR
12 décembre : Espace Malraux, Six Fours Les Plages, FR
14 décembre : L’Ancienne Belgique, Bruxelles, BE
15 décembre : La Luciole, Alençon, FR
16 décembre : La Sirène, La Rochelle, FR
17 décembre : Carré Sévigné, Cesson Sevigne, FR
18 décembre : Chato’do, Blois, FR
Entrevue réalisée le 02 juillet 2015, Montréal (propos recueillis par Karine Daviet pour Carnet d’art et Aurélie Lebec pour La Bande sonore).