Salomé Leclerc a remporté le 16 juin dernier le prix Félix Leclerc, qui encourage la création et la diffusion de la chanson francophone. Un prix amplement mérité pour la Québécoise qui a sorti son deuxième album, 27 fois l’aurore, en septembre dernier, après un premier Sous les arbres réalisé par Émily Loizeau en 2011. En concert le 17 juin aux Francofolies de Montréal, elle a défendu brillamment ses compositions devant une Place des Arts bien remplie. Son style mêlant folk, rock et électro, mais aussi ses chansons aux textes évocateurs la placent parmi les artistes les plus emblématiques de la nouvelle scène québécoise.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Pour l’écriture de mon dernier disque, 27 fois l’aurore, j’ai écouté beaucoup de groupes électro qui gardaient quand même un côté organique, comme Beach House, Radiohead, que j’écoute depuis longtemps, ou Atoms for peace, le projet de Tom Yorke, le chanteur de Radiohead. J’ai aussi écouté James Blake, qui a été une grande source d’inspiration, Braids et Alt-J. Ce sont tous des groupes qui ont un côté électro. J’étais convaincue que cette couleur-là, qui m’inspirait beaucoup avant de faire le disque, pouvait être la couleur parfaite à ajouter à ce que j’avais déjà. Le premier disque était beaucoup plus folk, puis j’ai fait la transition vers la guitare électrique mais en gardant quand même cette base folk qui fait mon son. En ajoutant de l’électro, je me disais que ça allait amener un côté nouveau qui permettrait de se démarquer du premier disque.
Mais au final, l’électro n’est pas si présente que ça. Le défi a été de trouver l’équilibre avec ce que je faisais déjà, pour ne pas juste prendre des claviers et enterrer tout ce que j’avais en dessous de ça, ce n’était vraiment pas le but. J’entendais des groupes ou des chanteurs qui essayaient de faire ça. C’est super bien fait, j’aime beaucoup ces disques-là mais pour moi, je trouvais que c’était trop. Du coup, on a essayé de doser. L’électro est souvent plus présente que ce qu’on peut penser, mais juste dans la dose, le son. Des fois, c’est juste des effets qu’on rajoute par-dessus, ça passe incognito. Ça permet de donner une certaine texture sonore sans mettre l’électro trop en avant.
C’est une façon pour toi de rester moderne, d’aller chercher les sons actuels tout en gardant ta pâte ?
Oui, c’est une espèce de mise à jour de Salomé Leclerc !
Pour ton premier album, tu as travaillé avec Émily Loizeau, qui t’a orientée vers la musique folk. Qu’est-ce que le travail avec elle t’a apporté ? Et pour le nouvel album, es-tu allée chercher d’autres personnalités pour trouver cette nouvelle direction musicale ?
Sur le premier disque, la couleur d’Émilie est présente, évidemment, parce que c’est elle qui l’a réalisé. Mais même avant de lui demander de travailler avec moi, je m’inspirais beaucoup de ce qu’elle faisait. J’aimais beaucoup son côté folk, un peu cru. J’ai essayé de prendre ça et de le mettre à ma sauce.Ce sont ses musiciens qui ont participé à l’enregistrement, c’est entre autres pour ça que cette couleur est très présente sur ce disque. Cela étant, cela m’allait complètement et j’en suis encore très fière.
Par contre, et il va sûrement se passer la même chose entre le deuxième et le troisième, j’ai la volonté de ne jamais refaire le même disque. Entre le premier et le deuxième, ça allait de soi que je m’en allais vers les influences que j’ai nommées parce ce que c’est ce que j’écoutais. À ce moment-là, je faisais aussi beaucoup de spectacles pour le premier disque, Sous les arbres, avec Philippe Brault, un des musiciens qui est devenu le co-réalisateur de l’album. Il est bassiste mais il fait plein d’autres choses, c’est un musicien de grand talent. Pendant la tournée, on avait plein d’occasions pour se conseiller de nouveaux disques à écouter, mais aussi pour parler de mon son, savoir vers où on pourrait aller pour que ça soit différent et que ça me plaise. Je n’aurais pas été capable d’aller dans une direction où je n’aurais pas été à l’aise, donc on a trouvé un juste milieu. Philippe aime beaucoup les groupes d’électro. Il écoute aussi du hip-hop et du rap, il joue des claviers… Je tenais aussi cette fois-là à faire mon deuxième album avec une équipe que je connaissais, déjà établie. Aller vers Philippe Brault, ça allait de soi.
Tu as enregistré avec Émily Loizeau, tu as participé aux rencontres d’Astaffort avec Francis Cabrel, donc tu connais bien la chanson française. Est-ce que tu remarques des différences dans la musique ou dans les façons de faire entre les chansons française et québécoise ? Penses-tu qu’elles doivent se rencontrer ?
Je trouve que le mélange est intéressant parce que la place de la voix est très différente entre les chansons françaises et les chansons nord-américaines. Bien sûr, ça dépend de l’artiste et de sa volonté, mais en ce qui me concerne, j’essaie de garder mes influences d’ici, nord-américaines, mais aussi d’aller chercher cette couleur plus française, avec la voix mise en avant, qui mène le reste. C’est l’inverse ici : souvent, la musique est très en avant, c’est rare que ce soit la voix qui dépasse. Moi, j’essaie de rendre justice à mes textes parce que je ne les écris pas sur le coin d’une table, je prends vraiment beaucoup de temps à écrire mes chansons, j’y accorde une grande importance. Si j’arrivais en studio et que je faisais juste une musique bien forte en laissant les paroles flotter en dessous, ça ne marcherait pas, j’aurais manqué mon coup et j’aurais probablement juste perdu mon temps. Voulant que mes textes, mes images ressortent, parce que c’est ce qui mène les chansons et permet à l’auditeur de voyager, il faut que la voix soit en avant. Donc je prends un peu des deux façons de faire, parce que les envolées musicales sont une vraie libération sur scène, mais c’est important que la voix revienne ensuite, qu’il y ait un équilibre.
Tu as appelé ton album 27 fois l’aurore, et le dernier album de Marie-Pierre Arthur s’appelle Si l’aurore. Est-ce une coïncidence ?
Je n’ai rien à voir avec ça, parce que mon album est sorti avant le sien ! On ne s’est pas concertées.
Est-ce un hasard, ou est-ce qu’on peut voir au-delà du hasard un effet de génération ?
Peut-être. Des fois, on fait les choses sans nécessairement regarder ce qui se passe autour. Par exemple, deux albums qui vont sortir plus ou moins au même moment auront quasiment la même pochette mais ça a été fait sans se consulter. Peut-être que c’est ce qui c’est passé. Des fois, il y a des thèmes, des sujets dans les airs, des mots un peu plus à la mode. Il faut croire que c’est le cas pour l’aurore en ce moment !
Est-ce que tu as un message à faire passer à nos lecteurs français ?
Je ne veux pas faire ma téteuse [lèche-botte, Ndlr], vraiment pas, mais j’adore aller en France et en Europe. J’adore voyager avec mes chansons et je peux dire que chaque fois que je suis allée en France — j’ai d’ailleurs fait une tournée en 2012 où j’avais une douzaine de dates—, je suis impressionnée de voir les gens aussi ouverts à la découverte, aussi attentifs. Quand un spectateur va voir un artiste qu’il ne connaît pas du tout, c’est facile de parler avec la personne à côté, mais chaque fois, ou presque, que j’ai présenté un spectacle en France, ça a été devant des publics à l’écoute, réceptifs. J’ai un souvenir de ça, c’était à la Cigale, en première partie de Pierre Lapointe, à l’automne dernier. J’étais toute seule à la guitare avec mes percussions, la salle était pleine, les gens ne me connaissaient pas du tout et pendant les trente minutes que j’ai présentées, ils ont été d’une écoute impressionnante. Donc invitez-moi et je vais venir avec grand plaisir !
Salomé Leclerc – Arlon
© Photographies : Valérie Gay Bessette