James Thierrée rêve de mécanique.
« La grenouille avait raison. Pourquoi ? Je n’en sais rien. » Vous n’aurez pas de réponse de James Thierrée ; je n’en ai pas non plus. Ce spectacle, dans la lignée de La Symphonie du Hanneton, n’attend pas d’explication, pas de discours autre que cette petite voix qui murmure au fond lorsque vous êtes confronté à un merveilleux inattendu. L’histoire se développe, pour chacun et chacune différente, selon qu’on reconnait une fleur, un dragon, une machine hostile ou bienveillante dans la marionnette titanesque qui s’anime au cœur de la scène.
Là-bas, entre ces longs pendants mordorés qui arrachent au réel un univers aussi glauque qu’intime, digne d’un film de Jean-Pierre Jeunet, la mécanique est à l’honneur. Une mécanique de fer et de chair : les interprètes se désarticulent, qu’ils marchent, claudiquent, roulent ou pirouettent, sous le regard d’un monstre de métal et de lumières changeantes magnifique autant que terrible, impressionnant surtout d’inventivité et de maitrise de la part des artistes en charge de le concevoir et de lui insuffler la vie. Même le piano, acteur à part entière de la fable qui se dévoile par à coup s’anime seul et meut ses marteaux sans l’aide d’aucune main.
La grenouille, je ne vous en dirai pas grand-chose, pour ne pas gâcher la surprise, juste qu’elle mérite qu’on l’écoute, et qu’elle est généreuse, une fois le spectacle terminé, si le public l’est aussi. Les autres personnages semblent aussi ordinaires que fantastiques, leurs gestes familiers et lointains ; leurs rendez-vous nous font écho avec cette singularité échappée de l’enfance qui fait trépigner la colère à petits coups de pieds sur le sol, et noyer des mains comme des poissons. Car c’est bien d’être enfant qu’il s’agit ce soir ; le pays imaginaire s’invite sur scène, les fées s’animent, meurent si vous ne tapez pas des mains, vous permettront de voler si vous décidez d’y croire.
Alors soyons enfants, rien qu’un soir. Les ficelles sont visibles, les mécaniques connues, les postiches à peine camouflés quand ils ne sont pas clairement exhibés. Evidemment tout est faux, et alors ? Sur scène la joie vibre autant que l’effort, toute la troupe s’anime dans un chaos bienheureux, multiplie les saynètes et gags dans une ambiance de grenier fabuleux peuplé de gosses professionnels, à la fois clowns et mimes, chanteurs et musiciens, comédiens et circassiens.
Les pointilleux trouveront peut-être certains solos redondants, regretteront la variété de créatures surprenantes apparues au détour d’un costume qu’on pouvait admirer dans de précédents spectacles, ou critiqueront la propension du metteur-en-scène à s’accaparer l’espace. Les rêveurs reconnaitront des névroses qui durent, des talents qui se renouvellent, la constance d’un héros. En fin de compte, tous auront probablement, quelque part sur la lèvre, tapi entre deux doutes sérieux, ce goût délicieux du rêve qui survit dans la folie des jours.