« Si vous êtes déréglés, inspirez-vous des représentations de votre nature vraie. » – Évangile de Marie.
1
Je serais obligé moi aussi d’en passer par des images.
Peut-être parce que tout ceci est image.
Tout ceci comme un jeu, une expérience.
Il y a quelque chose d’effroyable dans cette vérité qui périodiquement se fait jour entre les interstices de l’histoire – mais c’est notre histoire. Elle n’est un esclavage sous la domination d’une puissance étrangère que sous certaines conditions, à certains degrés de densité spirituelle.
Nous ne sommes pas tous venus pour les mêmes raisons, nous ne participons pas tous au même jeu.
C’est comme si nous avions mis dans le temps quelque chose qui n’aurait pas dû s’y trouver, et qu’il nous faudrait le récupérer avant la fin des temps, sous peine que la vie sous toutes ses formes devienne ici-bas chose impossible. C’est peut-être nous qui n’aurions pas dû y être… et il n’y aurait alors pas d’autre urgence pour nous que de nous trouver sur le chemin du retour à l’heure où les cloches sonneront.
Certains racontent que nous serions venus pour résoudre un problème ou pour répondre à une question, pour apprendre quelque chose ou simplement pour « vivre une expérience humaine », que les conditions éprouvées en ce moment sur la Terre – là où nous sommes parvenus – rendraient particulièrement intéressante…
Les enseignements sont toujours simples.
Il s’agit d’accueillir cette expérience comme un apprentissage, de suivre les intuitions par lesquelles nous sommes conduits. Il s’agit d’un regard, d’une pensée, de la saveur du temps de notre présence sur la terre.
C’est moins une histoire de vérité que de confiance ou de foi, car ces intuitions, le lieu comme la forme dont elles disposent pour se produire ou pour se faire comprendre, ce sont d’abord et avant tout des images. Ces images disent sans doute quelque chose de vrai sur la relation selon laquelle elles se produisent, mais ne disent rien de la réalité qui se manifeste à travers l’intuition. Ce n’est pas leur fonction : en tant qu’images, représentations mentales, allégories, ces intuitions sont des guides que nous pouvons suivre ou ne pas suivre pour nous orienter dans la matière et dans l’esprit.
Nos représentations ou fabrications mentales n’ont pas même valeur, en cela qu’elles ne nous orientent ni ne nous disposent de la même manière, qu’elles ne nous conduisent pas au même endroit. Certaines ont pour origine ou pour destinations les ténèbres augmentées de nos futurs dangereux, d’autres ont pour provenance et pour destinations des régions plus lumineuses… ce n’est pas une valeur de vérité qui fait la différence : une représentation n’est pas plus vraie parce qu’elle m’oriente en des destinations bienheureuses, elle n’est pas plus fausse parce qu’elle m’oriente en des destinations malheureuses. Nous parlerons plus exactement de l’efficacité de telle représentation, méthode ou doctrine, suivant le but visé. Les intuitions ne se produisent pas comme objets pour la connaissance, mais ce sont des supports pour la pratique, à la fois des refuges et des modèles d’action.
Mais les représentations de nos intuitions fondamentales, sitôt qu’elles s’agitent dans les circuits de nos fabrications mentales, qu’elles se placent sur le terrain de la connaissance et de la vérité, peuvent rapidement se constituer comme des obstacles. Elles susciteront contre elles toutes les contradictions des sciences constituées et prendront le risque, en réaction, de se constituer elles-mêmes sur le modèle exacte de leurs adversités.
Un appareil de connaissance, quelque qu’il soit, se produit toujours comme une organisation défensive ; or, pour que les représentations d’une intuition fondamentale se déploient selon leur fonction de médiations ou de guides spirituels, il faut qu’elles puissent disposer dans la conscience – mais pas seulement dans la conscience, au cœur de la pratique, dans le mouvement le plus rudimentaire de la matérialité – d’un espace libre, autrement d’un lieu où elle puisse se produire sans défense, sans référence à quelque chose de connu.
Il arrive parfois qu’un Messager se glisse entre les lignes d’un texte, mais ce ne sont pas toujours les livres que l’on croit : un bon roman peut tenir lieu d’évangile, de bonne nouvelle ou de médiation appropriée. Que ceci soit dit. Mais les réponses aux questions que nous nous posons ne résident nulle part hors de nous. Elles sont le fruit de nos cheminements intimes, qui commencent par se dire dans la négation ; elles sont un apprentissage, une ignorance, une inconnue ; elles sont la raison première de notre expérience.
Toute autorité d’où quelle vienne devait bientôt nous paraître suspecte.
2
Saisir cet instant
où le vent souffle
L’incertitude fébrile
qui résulte d’un accord premier
Débroussaillant dans les brouillards
Croire, c’est-à-dire accepter l’étendue des choses que j’ignore.
Lorsque je vois le chemin parcouru, je m’étonne d’avoir été autrefois cet homme, de regarder cela comme le futur qui aurait dû être le mien, que l’on m’avait volé et que l’on exhibait aujourd’hui comme le mérite d’un autre…
… Comme si j’avais passé ma vie dans l’attente angoissée de cette heure où le peu que j’aurais trouvé pour me maintenir me serait enlevé…
Ce qui m’avait été enlevé… Ou l’esclavage auquel j’avais échappé…
Le trouble jeu du sentiment de liberté.
Dans quel sens est-ce que tout cela devrait se disposer ?
Il y avait quelque chose, comme une vérité essentielle de mon âme qui m’avait touché, une évidence, comme quelque chose que l’on sait, peut-être même comme la seule chose que l’on n’ait jamais su, qui rassemblait dans son or, en un seul geste, une seule parole, des pans entiers de notre histoire, depuis bien avant que nous nous incarnions sous cette forme humaine, et qu’il me serait dorénavant impossible d’ignorer.
Quelque chose m’avait frappé, puis me laissait démuni devant l’existence, devant mes compagnons, à qui je ne savais plus comment parler désormais…
Il n’avait pas suffi qu’une fois un soir une révélation se soit produite pour que la vérité se fasse jour sans autre effort que de sourire et de tendre la main, même au méchant, même à l’adversaire.
Ce n’est pas tout à fait comme ça que les choses se passent.
Il y a tout un sentier qu’il faut découvrir ensuite, une piste à débusquer, après que l’océan nous ait langoureusement ravalés, avant de revenir à la surface des choses et de réaliser l’étendue parfaite de notre ignorance.
Le chemin dont je parle et ne cesse de parler comme s’il s’agissait d’aller quelque-part, c’est un cheminement de conscience, de dévoilement ou de révélation, de compréhension et de réalisation, qui procède selon différentes étapes.
Le passage d’une étape à une autre étape ne dépend pas d’un programme ou d’un calendrier, mais des formes de compréhensions ou des niveaux de conscience auxquels nous nous donnons les moyens d’accéder. En sorte que nous pouvons effectivement passer des vies entières comme « bloqués » à un certain « niveau », à répéter indéfiniment la même expérience en l’infinité de ses variations possibles, tant que nous n’avons pas compris et réalisé les solutions proposées aux problèmes que nous nous posons.
C’est ainsi que certains nœuds karmiques potentiellement nuisibles ou dangereux peuvent se transmettre comme une maladie de génération en génération.
3
Posons les choses simplement.
Après un si long parcours, nous ne pouvons plus nous considérer comme de simples débutants.
Sans nous en rendre compte, imperceptiblement, en prononçant les formules appropriées, nous sommes parvenus à traverser les épaisseurs de certaines murailles que nous pensions infranchissables. De nombreuses contradictions ont été dissoutes dans les bains d’eau claire dont nous avons abondamment lavé notre esprit, que les eaux-de-feux avaient longtemps nourri au-delà de toute raison.
Cela ne fut pas sans peine ni sans remises en question.
La foi, ce n’est pas du tout ce que l’on croit. Ce n’est pas la certitude d’une nouvelle croyance établie, alors que l’instant d’avant on ignorait tout de sa propre ignorance…
Il faut faire avec ce que nous sommes, avec nos images.
La plus belle ruse du Diable, nous dit-on, c’est de nous faire croire qu’il n’existe pas. Parce que si vous croyez que le Diable existe et qu’il est pour vous le Mal qui règne dans le monde des hommes ; alors c’est que vous croyez en Dieu, et que Dieu est pour vous l’Amour qui domine la création.
Mais il faut croire en Dieu.
Non pas comme on pourrait croire en l’existence quelque part d’une quelconque vie extraterrestre. Pas non plus comme en l’existence d’un être, d’une entité, dont la puissance serait mesurable et opposée à celle du Diable – celui-là est devenu depuis longtemps le refuge désespéré de notre impuissance.
Il faut croire en Dieu comme ce en quoi il n’est pas question de douter – car l’Esprit malin se nourrit de nos contradictions
La pensée de Dieu doit pouvoir se produire comme cet espace entre votre esprit et votre cœur où le doute, le manque de foi, la tergiversation mentale, laissent la place non à une certitude, mais à un sentiment de confiance absolue. Un espace où le Diable n’est pas autorisé à entrer – et le Diable ne peut pas entrer sans votre consentement – l’espace même d’où il fut banni au commencement de cette histoire.
J’ai retrouvé la trace de l’enfant terrible au seuil du monde sauvage et dérisoire. Il musardait sous les feuillages des épineux comme une ombre geignante et rabougrie. Je me suis approché de lui en silence, avec beaucoup de tendresse et d’humilité, je me suis assis à ses côtés. Je me suis assis comme le père, je me suis assis comme le fils, comme un compagnon d’errance, comme un ami. Je voulais porter avec lui le fardeau de sa misère, mais sa misère est infinie et il n’aime pas beaucoup la commisération. Il n’aime pas qu’on le prenne en pitié.
Souvent il arrive que, pensant lui offrir une épaule secourable, le bougre s’appuie sur vous pour transférer à votre cœur l’énergie de sa tristesse, et, une fois qu’il vous aura ramené au point d’effondrement de tous les mondes, vous le verrez repartir avec votre joie poursuivre ailleurs en chantant ses œuvres de corruption.
J’ai passé des heures aux côtés de l’enfant terrible, il n’y a pas un recoin de son âme qui me soit étranger. Je sais ce que son orgueil refuse et ce que son âme redoute. Plus qu’aucun être il craint son Père qui est dans les cieux. Il redoute le châtiment, il craint son propre jeu. Combien d’éternité le danseur de claquettes s’est-il épuisé à me convaincre que je n’existais pas, à me distraire de mes images pour que je n’ouvre surtout pas les yeux, pour que je reste auprès de lui sur cette terre de misère, de souffrance et de mort ?
La partie n’était pas facile, croyez-moi.
4
La réalité est ce qu’elle est
Et vous êtes libres du jeu de vos images et de vos orientations.
L’esprit vous propose une pensée, une image, dispose certains signes sur votre chemin : c’est à vous qu’il appartient ensuite de les suivre ou de ne pas les suivre, mais vous ne pouvez pas décider de la valeur d’une proposition avant d’en avoir réalisé l’expérience.
« Si c’est sur cette voie que tu veux t’engager, fils – semble nous dire l’esprit – voici le chemin sur lequel il ta faudra marcher. »
Mais du chemin et de la destination, vous ne percevrez – qu’une idée. Le plus difficile, la plupart du temps, vous sera dissimulé. Cette idée ne se manifeste pas pour que vous puissiez édifier dessus votre théorème ou votre fonds de commerce, mais pour susciter en vous la curiosité pour les voiles et pour la vérité qui semble se cacher derrière, le courage et la confiance qu’il faut pour entreprendre le chemin qui vous attend.
La question n’est pas celle de la destination de nos utopies ou des futurs que nous voudrions atteindre ou éviter, ni celle des conditions matérielles qu’il nous faudrait abolir ou réaliser –les conditions sont ce qu’elles sont, elles ne sont jamais absolues, elles ne sont jamais immuables.
La question est celle de notre orientation.
Cette orientation est le fruit d’une relation spécifique à l’Être du Vivant où nous reconnaissons notre demeure. La relation elle-même est le fruit d’une expérience : expérience de pensée, certes, mais qui n’est possible que dans l’espace octroyé par une certaine pratique.
Ni une subjective représentation, ni un objectif usage du monde, mais le mouvement d’une relation simplifiée de l’Être au Vivant, relation de confiance ontologique ou primordiale – sans espérance, sans attente, sans promesse de rétribution, sans support et sans médiation.
Une pratique radicale des territoires de l’incarnation.
Vous faites ce que vous voulez.
Vous nourrissez pour ce monde ou pour un autre les ombres qui vous semblent les plus désirables ou les moins dangereuses. Sans jamais savoir à quoi ces ombres font référence dans la réalité, vous vous fiez à leur danse, à ce qu’on en dit, à celui qui parle le plus fort ou qui semble parler le plus vrai.
Vous vous orientez comme des aveugles qui de la réalité n’avez jamais pressentis que les ténèbres des siècles d’incertitude qu’il vous restait encore à traverser sous la terreur angoissée d’un pressentiment inquiet qui se nourrit au cœur le plus secret de votre ignorance.
Vraiment, vous faite ce que vous voulez, vous nourrissez les ombres qui vous paraissent acceptables, vous suivez celles qui vous semblent les plus fiables…
C’est en cela que vous êtes libres ou créateurs.
Et vous allez là où les ombres vous conduisent.