Au cœur palpitant de la tour Saint-Clair, il était une fois, une reine…
Monsieur Tardi était fou du couscous de ma mère. Régulièrement, quand il avait des invités, il l’appelait et passait commande pour dix, quinze, voire vingt personnes. Monsieur Tardi avait une agence d’assurance, l’Abeille Paix, qui avait pignon sur rue. On peut dire sans exagérer que Monsieur Tardi avait pignon sur rue.
Ma mère intervenait les samedis après-midis de quatorze heures à dix-huit heures dans les bureaux de l’agence pour y faire le ménage. J’adorais l’accompagner car j’allais retrouver la machine à distribuer des boissons. J’enfilais la pièce d’un franc et sitôt que la poudre de Tang goût exotique était libérée, je retirais le gobelet juste avant que l’eau fraîche ne coule. Je plongeais alors mon index tout mouillé de salive, et je me délectais de cette poudre acidulée en prenant soin de prendre tout mon temps. J’ai appris dernièrement que la poudre en question était un véritable poison… Je confirme : c’est un poison exotique particulièrement délicieux.
Monsieur Tardi raffolait tellement du couscous de ma mère qu’il décida, un beau jour, d’ouvrir un restaurant. Convaincant, un rien séducteur, Monsieur Tardi savait négocier et assura à ma mère de bonnes conditions de travail et de rémunération. Rondement menée, l’affaire fut conclue. Ma mère finit par accepter.
Les Folies Berbères flamboyaient au pied de la tour Saint-Clair : cœur palpitant de la station balnéaire. Une décoration à la hauteur de l’investissement de Monsieur Tardi : moucharabiehs, tapis du sol au plafond, coussins moirés multicolores, photophores à foison. La « Berbérie » comme jamais…
En une saison estivale, les Folies Berbères devinrent the place to be. Ma mère, que le Midi Libre baptisa « la reine du couscous », œuvrait dans les cuisines en véritable cheftaine chevronnée : ça turbinait, ça s’échauffait dans tous les sens et des centaines de kilos de semoule déferlaient ainsi tous les soirs sur le port de plaisance, avec le bouillon, les légumes, les boulettes… pour le plus grand plaisir des clients qui en redemandaient sans fin. Une vague de couscous sur laquelle ma mère surfait avec maîtrise et dextérité. C’est sûr, elle assurait ma mère, et Monsieur Tardi était littéralement bluffé.
Les artistes qui se produisaient dans les arènes du Cap d’Agde finissaient tous leurs soirées aux Folies Berbères, repus, heureux : Dorothée, Jacky, Plastic Bertrand, Carlos… Hélas, ma mère ne tint pas le rythme effréné, et à la fin de la deuxième saison, elle rendit son tablier, au grand désespoir de Monsieur Tardi qui malgré ses supplications ne parvint pas, cette fois, à la convaincre. Après que d’autres cuisiniers s’y soient frotté, et qu’aucun n’arriva à la cheville de ma mère, les Folies Berbères fermèrent définitivement leurs portes. Il ne resta plus aucun pois chiche au fond de la couscoussière.
Photographie à la Une © Pierre-Paolo Dori, La Traversée du Styx – Polaroid Pack 100.