Éléments essentiels de la dramaturgie passée.
Revendiquée aujourd’hui comme un héritage patrimonial, la chasse s’est affranchie des besoins primitifs auxquels se substituent des vocations plus créatives. Les considérations nutritionnelles résultant d’une prise ne rivalisent plus avec le transport émotionnel provoqué par l’intensité originelle de la dramaturgie et de son dénouement.
Symbole de cette évolution de l’approche cynégétique, le trophée naturalisé ne laisse pas indifférent. S’il apparaît parfois comme un signe extérieur de puissance ou une revanche sociale, on peut également y voir un culte totémique ou encore la matérialisation significative d’un amour paradoxal. La fascination du chasseur pour la dépouille d’un gibier interpelle. Nietzsche pensait qu’il existait une forme de connivence inconsciente entre victimes et bourreaux. Loin de l’unilatéralité supposée, l’acte de mise à mort porterait-il le sceau d’un accord tacite entre un prédateur et sa proie, unis dans un cycle naturel de perpétuation des espèces ? Les chasseurs traditionnels africains parlent de mystique animale et entourent la chasse de rituels ésotériques très élaborés. Le trophée, résurrection factice et décorative d’un animal abattu, est soumis à des jugements de valeur contradictoires qui consacrent l’hommage rendu au divin ou condamnent la volonté de s’y substituer. Précieux comme une récompense auto décernée, le trophée de chasse est dénué de toute dimension collective. Sa valeur est très subjective.
Contemplant ces témoins figés qui ornaient les salons de certains amis chasseurs, il me semblait qu’avec les années, ces bêtes taxidermisées s’étaient imprégnées de l’atmosphère ambiante au point de se caractériser par un air de famille indéfinissable. L’évocation précise des souvenirs de la chasse en question révélait la force du lien unissant le lieu, l’animal et le chasseur.
La mise en abyme d’une dualité récurrente entre les notions de naturel et d’artificiel est un élément fondamental de cette démarche où la théâtralité de la narration se mêle à des formes photographiques habituellement antagonistes.
Comme l’acte de donner la mort… par amour.
Travaux réalisés à la chambre photographique 4X5, entre 2008 et 2014 dans les Alpes Maritimes, canton du Valais (Suisse), Haute Normandie, Afrique de l’Ouest, Mongolie, Argentine et Finlande. Aucune modification numérique n’a été opérée sur les images en dehors des réglages de base (luminosité, contraste, colorimétrie).
Pierre Abensur.
Pierre Abensur commence la photographie en autodidacte dans les années 80. Très vite, il s’oriente vers le reportage humaniste qui répond le mieux à sa quête d’intensité. Il travaille plusieurs mois sur le phénomène de clochardisation en Suisse, obtient ses premières publications puis entreprend des collaborations régulières avec des magazines spécialisés ou généralistes. En marge de son poste à la Tribune de Genève, il réalise en « free lance » des reportages à l’étranger qui pour la plupart traitent des conditions de minorités, qu’elles soient ethniques, sociales ou religieuses. La crise qui frappe la presse écrite dans les années 2000 et la difficulté d’amortir les dépenses engendrées par les reportages l’encouragent à diversifier son travail et l’orienter vers des sujets plus intimistes. C’est ainsi qu’il photographie ses trajets de pendulaire (Rails quotidiens) ou entreprend une série de portraits d’amis chasseurs de son village natal dans le sud de la France (Trophées subjectifs), un travail qu’il poursuivra sous d’autres tropiques…
Ne manquez pas l’exposition au Musée de la Chasse et de la Nature – 62, rue des Archives 75003 Paris – du 24 février au 15 juin 2015 ! Retrouvez toutes les informations ici.