Le lien
Il est un lien entre deux cultures, deux histoires. Il utilise la caméra avec la force de l’amour, la rage de la révolte et la précision de la réflexion. Toujours en recherche, toujours en chemin, en Algérie il est un de ceux qui incarnent sa génération.
Le moment où vous êtes entré dans le cinéma était-ce celui de la construction d’un socle identitaire ?
Je suis né à Clermont-Ferrand d’une maman française et d’un papa algérien. J’ai grandi à la campagne comme un rat des champs dans une famille de classe moyenne où je n’ai jamais manqué de rien. En France quand on est d’origine algérienne, il y a une sorte de mythe, de tabou, de non-dit, de violence qui sont liés à la guerre d’Algérie. Mais quand tu nais de parents à la fois français et algérien, il n’y a pas de conflits, je veux dire le conflit a été résolu avant ta naissance par un geste amoureux. Dans mon village le racisme n’était pas perceptible, c’est un concept que j’ai découvert plus tard en poursuivant mes études dans de plus grandes villes.
J’avais vraiment envie d’aller en Algérie et j’attendais d’avoir un projet de cinéma pour aller là-bas. L’envie de retrouver cette terre et d’aller à la rencontre de l’histoire de mon grand-oncle m’ont amené à faire Fidaï, un premier long-métrage documentaire qui se passe à moitié en Algérie et à moitié en France. Mon père me parlait souvent de cet oncle venu en France quand il était gamin, avec qui il jouait au foot, et qui un jour s’est fait arrêter et mettre en prison. Il a appris à lire et à écrire en prison, il s’était battu pour l’indépendance de son pays, qui était aussi notre pays, il y avait un côté follement romanesque. Entre voyages progressifs et successifs, le film a mis quatre ans à se faire. Fidaï est un portait intime pris dans la révolution, où se pose la question de l’engagement et de comprendre de quelle manière un homme qui n’est jamais allé à l’école, qui est berger, se dit à un moment qu’il y a quelque chose d’insupportable, qu’il est prêt à donner sa vie, à agir et qu’il veut se battre.
Le cinéma est-il un acte d’engagement, de résistance, où vous donnez de votre vie ?
S’engager complètement, oui, mais cela ne met pas en danger ma vie comme peut le faire une guerre. Il y a une chose qui m’a mené au cinéma. Avant le cinéma, je faisais des études scientifiques et le côté social me manquait tout comme celui de l’engagement. De quelle manière une génération, qui comme moi est née dans les années 80, peut-elle contribuer à la société ? Ces années ont vu le mur de Berlin tomber, on nous a dit que le communisme n’était plus possible, qu’il n’y avait plus d’idéologies, qu’il y avait un programme unique, une pensée unique ; c’était le progrès, l’Europe et ses traités. Je n’étais pas d’accord avec le fait de voir une Europe économique et non sociale en train de se construire ; ce n’est pas juste ni égalitaire. En cela le cinéma est apparu comme un médium incroyable car il permet de traiter de tout en termes d’histoire, de culture et de société.
Vous gardez une certaine distance face à l’engagement, est-ce citoyen voire même militant ?
Le militantisme n’est pas ce que je préfère. Je ne me considère pas comme militant mais peut-être résistant à certaines choses car j’ai souvent préféré les poètes aux militants. J’aime surtout l’individu qui s’affirme seul. Une des personne que j’admire le plus est Pasolini qui était communiste, mais n’était pas d’accord avec le parti communiste italien, qui était croyant mais était contre le Vatican. Parfois, certaine terminologie comme le militantisme renferme. Pour avoir plus de gens derrière soi, le discours va se simplifier et va devenir un peu trop autoritaire pour rentrer dans le moule et porter une idée.
J’aime les gens libres qui peuvent dire à un moment qu’ils ne sont pas d’accord avec vous, que vous déconnez, qu’ils vous emmerdent ; vous ne m’aimez pas et tant pis. Au fond, tout cela est de l’échange, de la pensée. Ce sont des actes qui peuvent être différents mais qui au final sont tournés dans la même direction, quels sont les moyens de la lutte ? Le cinéma me donne beaucoup de liberté et peut-être de l’impertinence.
Quels sont les enjeux et les défis de ce que l’on nomme la jeune garde algérienne ?
Le défi est de faire des films et du bon cinéma. Ce sont les critiques ou les festivals qui réunissent des mouvements et délimitent des courants ; c’est le cas pour cette jeune garde algérienne. C’est forcément réducteur mais cela permet de dire qu’il se passe quelque chose et que ce n’est pas rien ; des individus, des voix s’élèvent et ont des trucs à dire.
Quand un réalisateur chinois me touche intimement plus qu’un réalisateur français, c’est qu’il est à un endroit universel qui me fait vibrer car il est au plus près de ce qu’il est. Quand on fait un film en Algérie, on parle du plus précis en termes de culture et de contexte de notre histoire et c’est cela qui va la rendre universelle. Je ne supporte pas les films qui essayent de brasser les aspects propres et particuliers à chaque culture pour que tout le monde comprenne car cela donne des œuvres du milieu, molles ; un big mac en quelque sorte, exportable partout mais pas très savoureux ni bon pour le corps et oublié en un quart d’heure.
Dans cette jeune garde du cinéma algérien, chacun a son style, certains vont être documentaires, d’autres axés sur les arts plastiques ou plutôt dans les dialogues. Je sens qu’il y a quelque chose de nécessaire à exprimer par le cinéma qui doit être percutant et surtout sincère.
Quelle serait votre esthétique cinématographique ?
Je souhaite par la poésie créer du politique. Après mai 68 notamment, il y a eu des courants de cinéma militant, des films très forts mais au bout d’un moment, le message pour toucher plus largement s’est simplifié. On a perdu la forme et la poésie alors que celle-ci peut faire trembler le monde. Mon cinéma est hétérogène. Dans Fidaï, il y avait du documentaire, de la fiction mais aussi de la reconstitution. Moi qui ne suis pas acteur je jouais la victime et mon oncle, cinquante ans après, refaisait ses actions armées où il devait abattre les traîtres ; je donnais mon corps pour faire l’homme qu’il devait tuer, comme un fantôme, je ne parlais pas.
Comment définiriez-vous votre rapport avec les acteurs ?
Dans mon premier vrai passage à la fiction, Kindil, j’ai découvert que j’ai un rapport d’amour avec les acteurs. Pour pouvoir le filmer il faut que j’aime l’acteur et que j’aime aussi son personnage. Sur le plateau, il y a des moments incroyables : ceux où les acteurs commencent à jouer, où je regarde en alternant la vision réelle et celle à travers le moniteur pour voir ce que dégage leurs corps. C’est un temps où je suis en suspension et c’est pour cela que je fais ce métier, ce sont des moments de grâce. Les acteurs me font confiance, ils se donnent et se lâchent. C’est alors à moi de les cueillir et de les soutenir dans ce qu’ils donnent, de leur laisser une zone de confort et de sécurité.
Est-ce que vous provoquez les frontières du genre ?
Oui car les frontières ne devraient pas exister, c’est passéiste, c’est pour faire la guerre, ce n’est pas une notion humaniste car elle exclut l’autre. La liberté de se déplacer est un droit de l’homme. Qui a décidé que ce bout de terre est à untel ou untel ? Je le comprends par l’histoire des peuples et des mouvements mais il y a un moment où c’est obsolète. C’est pour cela que je passe d’un genre à l’autre. J’aime bien, par exemple, mêler la grâce et le trivial.
Arrivez-vous à vous projeter dans une dizaine d’années ?
Si j’ai la chance d’être encore vivant, je ferai du cinéma car je ne sais pas faire autre chose. Je ne sais pas où je serai mais dans dix ans j’espère être heureux dans ce que je ferai, amoureux, papa (pourquoi pas !) et plus serein. Le chemin pour vivre est dur, pour produire des films, pour trouver des financements, juste pour pouvoir manger de cela. Quand on s’engage dans les arts c’est un peu la roulette russe. J’espère apprendre toute ma vie et j’espère que chaque film sera un pari, un risque. La question du doute est essentielle dans la création.
Vous êtes assez critique envers le pouvoir politique qu’il soit algérien ou français, pourquoi ?
En Algérie, j’aimerais voir tout l’argent du pétrole et du gaz en action ne serait-ce que dans l’urbanisme ou dans l’industrie culturelle. L’Algérie pourrait être un eldorado. Je ne suis pas dans une attitude passéiste, je ne vais pas pleurnicher, mais maintenant que l’on est là, qu’est-ce que l’on fait ? Il faut arrêter de se déresponsabiliser. Physiquement, mentalement, c’est nous qui sommes acteurs de nos sociétés, de la direction que l’on peut leur donner, à notre échelle bien sûr, mais il faut arrêter d’attendre les autres. En France, la perte des acquis sociaux m’ulcère. Le fait que l’état perde de sa force au profit des banques et des multinationales me rend dingue.
Que portez-vous dans vos films ?
Que ce soit dans mon documentaire sur le réalisateur chinois, dans le documentaire sur mon oncle berger qui devient fidaï, dans le film avec cette femme victime d’une agression mais qui va devenir un monstre et reprendre les choses en main (c’est un conte sombre pour adulte), ou prochainement dans le film où une reine va affronter le plus puissant corsaire de son époque, je questionne l’individu dans le groupe et sa société. À chaque fois, ce sont des individus presque ordinaires mais qui vont se transcender, s’émanciper, s’affranchir, agir pour devenir une vraie force de vie, une force d’action et une forme de puissance, j’aime voir cette métamorphose.
Le cinéma, en tant qu’art du temps, est le meilleur outil que j’ai trouvé pour capter cette transformation.
Photographie à la Une © Delphine Pincet.