SPECTACLE « La Cuisine de Marguerite » mis en scène par Laurent Sauvage jusqu’au 24 mars 2018 à la Scène Thélème, Paris.
La Cuisine de Marguerite : « Je ne supporte pas du tout, qu’il n’y ait rien à manger à la maison… Il me semble que c’est toute la maison qui penche, qui va à vau-l’eau, parce qu’il manque une chose vitale… s’il n’y a pas de sel, y’a rien. » (Extrait de La cuisine de Marguerite, Édition Benoît Jacob, 1999).
La Cuisine de Marguerite adaptée et mise en scène par Laurent Sauvage, une invitation à s’assoir à la table de la ménagère pour découvrir le Thit – Khô, plat indochinois, déguster l’omelette vietnamienne, se retrouver en famille autour de la potée ou tout simplement se mettre en bouche, la soupe aux poireaux.
Les comédiens, Marine de Missolz et Guy Prévost, entrent en scène avec religiosité, chacun tenant en main un photophore tel un cierge allumé pour exaucer un vœu de recette à préparer.
Un voyage sans faim.
La représentation commence par l’évocation d’une jeune fille qui, après avoir traversé maintes étendues d’eaux argileuses, foule la terre ferme d’une contrée de l’Indochine. La faim la tenaille, elle traverse des villages, s’arrête devant des cabanes de fortune. Elle marche, elle dort. Elle marche, elle oublie qu’elle a faim, elle dort. Elle marche, elle mange du riz vert, des mangues, elle dort. Elle trouve refuge dans une caverne. Elle marche, elle croise des autochtones qui l’ignorent jusqu’à lui jeter des regards désapprobateurs. Elle a faim encore et encore, elle dort. Elle mange ce qu’elle trouve. Les lumières de la ville lui renvoient une lueur d’espoir. Qui dit lumière, dit vie, dit victuailles, dit victoire… Croit-elle !
Guy Prévost. Les yeux lisent Duras en soulignant avec respect l’empreinte de la souffrance qu’est la faim. Les yeux s’adressent aux gens installés face aux comédiens et narrent avec sensibilité et profondeur l’âme en proie au silence d’un repas, aussi simple soit-il, qui reste un mirage.
Marine de Missolz. La voix porte l’assurance que la jeune fille se relève après chaque chute. Elle pleure, elle dort. Elle marche, elle dort. Elle mange, elle dort.
Le ton est dosé avec précaution, la jeune fille est fragile, la faim la ronge, le sommeil efface l’oubli, la marche la pousse à trouver l’inespéré.
« Un jour, elle nous dit j’ai acheté des pommes, fruits de la France, vous êtes Français. Il faut manger des pommes. On essaye, on recrache…on étouffe, il n’y a pas de jus, c’est du coton. Elle abandonne. La viande, on recrache aussi, on n’aime que la chair du poisson d’eau douce cuite à la saumure, au nuoc-mâm. On n’aime que le riz… les soupes maigres des marchands ambulants du Mékong. » (Extrait de La Cuisine de Marguerite, Édition Benoît Jacob, 1999).
La mise en scène de Laurent Sauvage, un road-movie en Asie du Sud-Est dont le fil conducteur de l’histoire est une traversée au long cours d’eaux incertaines, de villages miséreux, de rencontres sans âme, de solitude et de la volonté ferme de résister.
La cuisine et l’écriture, la même solitude.
« Vous voulez savoir pourquoi je fais la cuisine ? Parce que j’aime beaucoup ça… C’est l’endroit le plus antinomique de celui de l’écrit et pourtant on est dans la même solitude. » (Extrait de La Cuisine de Marguerite, Édition Benoît Jacob, 1999).
Les passages lus de la Cuisine de Marguerite et les parenthèses existentielles intimes et personnelles de Duras livrées dans un jeu de voix alternatif sont autant de moment de solitude que de rencontres partagées par Marine de Missolz et Guy Prévost avec le public.
On entre en cuisine comme on entre en religion. Pour Duras, la cuisine est un acte d’amour comme l’est Dieu à la novice qui se couvre du voile.
La cuisine, c’est la patience. La préparation, c’est l’exigence. La cuisson, c’est la convenance. La mise en plat, c’est l’importance. La partager, c’est l’ambiance. L’apprécier, c’est l’indulgence.
Marguerite Duras revendiquait faire une très bonne cuisine, sans être raffinée. Elle écrivait ses recettes, inventait des titres, leur donnait le nom de la personne qui lui avait soufflée le plat. Les fameuses boulettes de viande qu’elle baptisa en hommage à son amie, Mélina Mercouri, Les boulettes à la façon de la Grecque Melina.
Les hommes et les enfants, l’architecture de vie de la maison.
« La salle à manger est grande parce que c’est là qu’on reçoit les invités, mais la cuisine est petite, de plus en plus petite. » (Extrait de La Cuisine de Marguerite, Édition Benoît Jacob, 1999).
La salle de La Scène Thélème est suffisamment spacieuse pour accueillir un public soucieux de représentations théâtrales de qualité et abouties où la proximité avec les comédiens crée une complicité de tous les instants. Salle qui, le spectacle achevé, reprend vie en salle de restaurant.
La Scène Thélème, un restaurant d’un an d’âge, une étoile attribuée en 2017 par le Guide Michelin, Le chef Julien Roucheteau est l’homme qui sait parler aux marmites et aux fourneaux, une équipe jeune et dynamique qui contribue à rendre le lieu fondé par Jean-Marie Gurné, convivial à souhait.
Laurent Sauvage a su redonner vie à La Cuisine de Marguerite à la façon d’un chef de cuisine, une note d’intention, une touche personnelle, du caractère, de l’exigence, de la liberté, un soupçon d’inconnu qui restitue les recettes de Duras avec subtilité
La recette de la soupe aux poireaux de Marguerite Duras, l’essence d’un plat populaire, les sens de la simplicité et de la chaleur d’être ensemble.
« Souvent les provisions étaient là, achetées du matin, alors il n’y avait plus qu’à éplucher les légumes, mettre la soupe à cuire et écrire. Rien d’autre. » (Extrait de La Cuisine de Marguerite, Édition Benoît Jacob, 1999).
Rien d’autre que de venir et prendre place à La Scène Thélème, découvrir et apprécier comme il se doit La Cuisine de Marguerite mise en scène par Laurent Sauvage et interprétée par un duo de beaux comédiens, Marine de Missolz et Guy Prévost.
Image à la Une © Scène Thélème, Laurent Sauvage.