Le temps des secrets.
Directeur du Toneelgroep d’Amsterdam, Ivo van Hove est un des metteurs en scène remarquables dans le théâtre européen actuel. Sa nouvelle création De Dingen die Voorgijgann s’impose comme une pièce parfaitement réalisée où les secrets de famille se dévoilent dans un temps comme mis en suspension.
Une des premières choses qui marque dans le travail de Ivo van Hove est le souci du détail apporté aux scénographies. Tout aussi imposantes que réalisées avec finesse, elles habitent le lieu où elles se trouvent ; rien n’est laissé au hasard et chaque élément a une portée symbolique. Dans De Dingen die Voorgijgann le plateau est occupé dans sa partie centrale par un grand rectangle entouré par deux rangées de chaises sur les côtés. Lieu de tous les secrets et révélations, il est associable à une zone où les personnages sont dans l’attente, dans un transit entre le monde des vivants et celui des morts, dans un temps passé à un futur qui n’adviendra peut-être jamais. Ce temps qui passe est lui-même matérialisé par un pendule en perpétuel mouvement. En fond de scène, un grand miroir renvoie aussi bien l’image du plateau et des acteurs que celle des spectateurs qui peuvent avoir l’impression d’être happés par l’histoire qui va être racontée. Le public est ainsi placé en tant que témoin actif. D’autres témoins se trouvent eux sur des vitres latérales : il s’agit de quelques visages inspirés par le peintre belge Léon Spilliaert dont on perçoit des expressions empreintes de tristesse, de mélancolie ainsi que de vagues sentiments d’errance et de solitude.
Ici, Ivo van Hove s’empare d’un récit de Louis Couperus, poète et écrivain néerlandais, appartenant au mouvement littéraire naturaliste. Au cœur de l’histoire de De Dingen die Voorgijgann, il y a une famille qui est hantée par les non-dits et les secrets : du meurtre du père aux abus incestueux, tout va petit à petit être dévoilé en causant à la fois la perte et la délivrance de tous. Le personnage de la mère se révèle être une sorte de pivot vers qui tout converge ou depuis lequel tout part. Sa place tend à laisser transparaitre une microsociété matriarcale dans laquelle elle essaie de contrôler ce qui ne doit pas se savoir. Entre folie, raison et illusion, elle pensera jusqu’à son dernier souffle que « personne ne le saura jamais ». Mais chacun des membres de la famille finira par comprendre l’indicible.
Cet indicible est amené par Ivo van Hove dans une mise en scène qui a du génie et par une direction d’acteurs au plus juste. Dans une temporalité qui s’étire, tout est finement mis en œuvre, que ce soit au niveau du jeu ou au niveau de l’esthétisme, à l’image de cette pluie noire qui s’abat sur la famille peu après que le meurtre du père ait été verbalisé. On regrette presque la présence de quelques passages soutenus par la vidéo qui se révèle ici presque comme une coquetterie scénique contrairement à son emploi précis dans Les Damnés ou dans The Fountainhead.
Le récit de ces secrets de famille peine quelque peu à trouver une résonnance contemporaine – l’écriture de Louis Couperus étant un peu « datée » – contrairement à Ibsen Huis mise en scène par Simon Stone qui, sur le même sujet, transportait bien au-delà d’une « petite » histoire mais De Dingen die Voorgijgann n’en reste pas moins une pièce parfaitement maitrisée
Image à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.