Et pendant ce temps…
Nous attendions avec impatience ce qui peut clairement se définir comme un des événements de cette édition 2016 du Festival d’Avignon. Le retour dans la Cour d’Honneur de la troupe de la Comédie Française et la confiance faite à Ivo van Hove pour la mettre en scène.
Nous nous souvenons encore du magistral The Fountainhead de 2014 que nous avait livré le metteur en scène belge, cette virtuosité des comédiens, cette justesse et incisive originalité de la vidéo, cette épopée galvanisante…
De plus, le pari audacieux du metteur en scène de s’emparer du scénario du mythique film de Visconti ne pouvait être que des plus alléchants.
Le vent souffle fort ce soir là. Les projecteurs sont tremblants, les cris des manifestants anti loi travail résonnent derrière les majestueux murs du palais des papes, le froid transperce les journaux utilisés comme rembourrage sous nos couches de pulls et couvertures. Avant le coup d’envoi de la représentation nous pouvons déjà sentir un lien qui se crée entre les spectateurs de la cour. Nous sommes tous logés à la même enseigne, on se serre les coudes et se prête un bout de couverture ou une feuille du journal La terrasse, très pratique parce que très épais.
À l’ouverture, les dès sont jetés, les codes sont posés, van Hove nous plonge dans une fiction fragmentée par une distanciation qui le caractérise si bien. Évidemment la vidéo prend une place prépondérante dans le parti pris. Deux caméras sont constamment à la poursuite des comédiens interprétant dans un coin ou un autre de cette immense espace les scènes se succédant. Heureusement d’ailleurs que nous pouvons bénéficier de cet écran géant, central, pour suivre ces scènes que nous avons souvent du mal à localiser sur le plateau. L’usage de la vidéo par van Hove nous plonge dans un traitement à mi chemin entre une approche cinématographique et théâtrale de la mise en espace comme du jeu des acteurs.
Les acteurs d’ailleurs… On sent toute la suffisance d’un Guillaume Gallienne qui se regarde jouer mais reste très bon parce qu’en adéquation avec son personnage et le récit. Un Denis Podalydès courant après la performance dans ce qui est sans doute un des rôles les plus intéressants de la pièce. Et soulignons une révélation, Christophe Montenez, qui interprète le dérangé Martin avec une virtuosité digne des plus grands acteurs que cette cour d’honneur ait accueilli.
L’espace que construit Ivo van Hove est simple, de jardin à cour, chaises sur lesquelles les comédiens deviennent spectateurs lorsqu’ils n’interviennent pas, miroirs de loges de théâtre qui constituent un premier espace de jeu, grande piste de jeu orange, puis noire, sur l’espace central, chaises pour les musiciens à cour et cercueils dans lesquels les protagonistes viennent mourir petit à petit (pratique pour se repérer dans le temps et savoir qu’il ne reste que deux morts avant la fin de la représentation). Disons que ce traitement à l’horizontal que van Hove fait de la cour pourrait être intéressant mais les chaises des comédiens-spectateurs et les cercueils peuvent rapidement nous sembler installer la représentation dans un rythme redondant, aux codes d’avancées narratives répétitifs. Je ne sais pas s’il faut pardonner ou pas ce que nous qualifierons de petite coquetterie facile.
Aussi, comme dans la plupart des spectacles proposés dans le In cette année, les musiciens sont sur scène, et se baladent entre le balcon situé sur l’écran géant et leurs chaises d’orchestre situées sur le côté. La musique est omniprésente, ce qui accentue le côté cinématographique de l’approche, sans pour autant se référer au film original.
À la sortie, une vague sensation de rancœur, un spectacle qui ne nous emporte certainement pas dans la folie galvanisante que nous pouvions attendre mais qui reste honnête. Pas besoin d’être dans les arcanes du festival ou du français pour imaginer un Ivo van Hove arrivant avec sa scénographie clé en main et des comédiens ayant un bon mois pour s’approprier l’espace et donner corps et vie à cette histoire qui est tout de même brûlante. La mayonnaise ne prend pas vraiment et on regrette un rythme redondant dans lequel nous glissons très rapidement. Tout s’enchaine proprement, ponctué par quelques envolées dramatiques des comédiens jouissant de la situation qu’ils vivent cet été.
Malgré ce sentiment mitigé, notons tout de même le dernier quart d’heure du spectacle, Martin qui s’en prend à sa mère en l’enduisant d’une sorte de pétrole bleu gluant, lui versant des plumes blanches dessus, un Martin qui se verse les cendres de l’urne des morts de la famille dessus, vent aidant, les images créées par van Hove sont splendides, le comédien aussi… Il termine d’ailleurs sur une image d’une puissance à provoquer des crises cardiaques, écran clignotant blanc, effet stroboscope, Martin nous visant et tirant par rafales sur le public…
Tout cela a commencé à 23h le 14 juillet 2016 pour se terminer deux heures plus tard, alors qu’à Nice se déroulait ce que nous ne savons plus qualifier. Vivement que le théâtre s’empare, sans timidité, du monde dans lequel nous vivons.
Les Damnés, par Ivo van Hove. Cour d’Honneur du Palais des Papes, à 22 heures, jusqu’au 16 juillet. Durée : 2h10.
Photographie à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival-d’Avignon.
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