La résistible ascension d’Arturo Ui

Un engagement politique.

Après Cyrano de Bergerac en 2013, le couple Pitoiset / Torreton se retrouve autour du texte de Bertold Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Cette œuvre allemande des années quarante, reflétant une société sclérosée par la montée en puissance des nationalismes et extrémismes, trouve une évidente résonance contemporaine.

Une atmosphère glaciale.

Le rideau se lève sur « Va pensiero / Le Chœur des esclaves » tiré de Nabucco de Giuseppe Verdi. Quelques paroles qui en disent déjà beaucoup sur l’engagement de cette pièce : « O ma patrie si belle et perdue ». Le ton est donné au travers de cet opéra politique, aussi bien lors de sa création en 1842 que les images choisies sous la direction de Riccardo Muti (qui avait en mars 2011, interrompu ce chant pour interpeller Silvio Berlusconi et sa politique culturelle ; incroyable moment que celui de toute une salle se levant comme un seul homme pour entonner ce chœur). Ne serait-ce que par ce choix du metteur en scène, cela montre l’importance de la culture quand la société se morcèle.

Tournant le dos au public, Arturo Ui, interprété par Philippe Torreton, regarde attentivement ce chœur avant de le couper et de prendre la parole en ayant en main Mein Kampf, tout un symbole qui se passerait presque de mots si ce n’est que le propos ne se place pas sur Hitler. Sur le plateau, dans cette pièce au sol de marbre qui peut tout aussi bien faire penser à une salle de coffres-forts qu’à une salle mortuaire d’un institut médico-légal, une atmosphère glaciale s’installe progressivement.

Un engrenage insidieux.

Utilisant Ich will de Rammstein pour entrecouper la plupart des scènes, Dominique Pitoiset fait un choix clair d’utilisation de la musique comme contre-point (« Je veux que vous ayez confiance en moi / Je veux que vous me croyiez / Je veux capter vos regards / Contrôler chaque battement de cœur »). Ce qui n’est pas s’en faire écho à la mise en scène d’Ivo Von Hove avec Les Damnés qui a également fait le choix de ce groupe allemand.

L’engrenage est insidieux, la machine se déroule et rien ne semble pouvoir l’arrêter. La confrontation des pouvoirs entre le politique et le milieu des finances – seul et unique réel pouvoir dominant si l’on ose se l’avouer – est mis en avant. Être presque insignifiant ou tout du moins quelconque, Arturo Ui s’impose comme la seule solution, celui qui va manipuler un cartel installé à son avantage, qui va faire tomber un régime en place avec tous les horreurs qui peuvent être liées (assassinats, manipulations de l’opinion publique, autodafés, etc.).

L’heure de l’engagement.

Cette création de Dominique Pitoiset marque un engagement notable sur le contexte politique actuel. Il se passe des choses en France et plus largement en Europe, dans le monde. Chaque époque connait ses tourments mais il devient « normal » de voir le Front national annoncé au second tour des élections présidentielles françaises, alors qu’il n’y a pas si longtemps que cela, les citoyens étaient dans la rue quand le père de… était face à Jacques Chirac. Il devient aussi « normal » d’assister à des fermetures de frontières tout à fait discutables, à des régressions sociales ou à des tensions communautaires croissantes nourries par une méconnaissance de l’autre…

Tout cela se passe à côté de chez nous, devant notre porte et ce qui est mis en avant dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui relève de l’ordre de l’engagement citoyen, celui de chacun car il peu exister une certaine curiosité à savoir ce que donnerait des partis extrémistes au pouvoir – « Ce qui serait le mieux, en ce moment, ce serait un maître autoritaire qui serait très bon, gentil et juste. », comme cela était dit dans Je suis Fassbinder mis en scène par Stanislas Nordey. La réponse est assurément non.

La fin de la pièce atteint son point culminant quand Arturo Ui, ou tout autre politique assimilable au personnage s’exprime, ou plutôt gesticule de manière muette sur un fond de campagne électorale française et sur O Fortuna de Carl Orff : « La vie détestable / Opprime d’abord / Et apaise ensuite / Comme la fantaisie la prend / Pauvreté / Et pouvoir / Elle les fait fondre comme la glace ». À nouveau, la musique est prise comme contre-point, l’heure de l’engagement a sonné.

Photographie à la Une : Axel Schneider – Maurizio Cattelan, Ave Maria 2007.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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