Je suis Fassbinder

L’urgence d’un manifeste.

Il l’a fait, ou plutôt ils l’ont fait. Pour sa première création en tant que Directeur du TNS – Théâtre National de Strasbourg, Stanislas Nordey s’associe à l’allemand Falk Richter pour dire l’urgence.

L’Allemagne en automne est une des articulations centrales de la pièce. Sorti en 1977, ce film est signé par plusieurs cinéastes, dont Rainer Werner Fassbinder qui livre sans doute la réflexion la plus personnelle en se filmant chez lui avec son amant et sa mère – la mère interprétée sur scène, magistralement, par Laurent Sauvage – qu’il pousse à s’exprimer. Dans l’Allemagne des « années de plomb » en proie aux actes terroristes de la RAF (Rote Armee Fraktion, Fraction armée rouge), cette mère ayant (sur)vécue au IIIème Reich fini par dire : « ce qui serait le mieux, en ce moment, ce serait un maître autoritaire qui serait très bon, gentil et juste. ». Une phrase dite de façon tout à fait naïve mais tout aussi terrifiante car comment penser, comment croire, que le peuple pourrait ou peu encore élire un gentil Führer, une sympathique extrémiste blonde, un Jarosław Kaczyński, un Viktor Orbán, ou encore un autre ?  « pour débarrasser les pays des réfugiés, des étrangers, des musulmans… sans guerre, sans que l’Europe se retrouve encore en cendres. ». Après tout, « la Pologne n’est déjà plus une démocratie, la Hongrie devient un régime de plus en plus fasciste, la Russie est redevenue avec Poutine une dictature guerrière où les artistes et les journalistes qui critiquent le régime sont poursuivis, emprisonnés, tués. »

Ce ne sont là que quelques phrases extraites d’une pièce performance de deux heures mais qui donnent le ton. Un théâtre qui dit ce qu’il a à dire, sans raccourcis, sans censure, il provoque, bouscule, interroge « sans donner les réponses » mais de manière frontale. Le passé se retrouve sur la même ligne que le présent avec toute l’actualité « choc » : la montée des nationalismes, les manifestations contre le mariage pour tous, les attentats de Paris, les viols de Cologne au nouvel an, la situation des réfugiés. Toutes les informations lessivées à longueur de journée semblent tombées dans une banalité ordinaire, dans un état d’urgence constant, dans un niveau 4 ou un niveau 3… on ne sait plus vraiment mis à part « suivre les gros titres des fils d’actu de nos amis Facebook. » Stanislas Nordey et Falk Richter, ainsi que tous les comédiens en scène ont pris cette matière pour lui (re)donner son importance et ses implications immédiates et futures.

Les spectateurs ont ri, sont peut-être sortis tristes ou mélancoliques mais conscients plus que jamais. Le théâtre, lui, sort grandi de Je suis Fassbinder. Il faudrait peut-être songer à organiser a minima un sommet franco-allemand, voire un sommet européen, où seraient conviés nos dirigeants lors d’une prochaine représentation…

Voici les dates :

Et pour finir, Mad World…

 

Photographie à la Une © Jean Louis Fernandez.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

2 Comments

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    Répondre mars 29, 2016

    Guy Chassigneux

    Pendant deux heures, la pièce de théâtre encombrée d’écrans qui avait l’intention d’empoigner les problèmes du moment, parvient à l’inverse de ses intentions : les années soixante dix paraissent si lointaines que la tentative de décalquage sur nos années seize en est pathétique.
    Nous les avions pourtant tant aimées ces années de notre jeunesse et apprécié le metteur en scène :
    http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/par-les-villages-stanislas-nordey.html
    Cette fois je n’ai pas applaudi, tout en reconnaissant qu’il y a matière à penser, mais en ce qui me concerne, c’est en opposition à une représentation que je juge hystérique, alors que j’aurais pu apprécier la conviction des acteurs. Le propos est frontal et didactique bien que des contradictions soient évoquées mais d’une façon tellement caricaturale.
    Je me suis retrouvé dans la jeune femme qui se met à courir autour de la scène en disant « ça va s’arranger ! » mais quand on a fréquenté Galotta et d’autres, ces galops affolés ont un air de déjà vus.
    Certes j’ai appris que la petite fille du ministre des finances d’Hitler, siégeant au parlement de Strasbourg était :
    « pour que la police des frontières fasse usage d’armes à feu sur les réfugiés ».
    Mais continuer à accoler le mot nazi à toute relation hétérosexuelle, banalise le terme, comme traiter de « gros cochon » tous ceux qui ont peur pour leur pays, ne risque pas de les convertir à une fraternité dont ils sont exclus.
    Inévitablement, je me retrouve du côté de Camus quand Nordey dans sa harangue finale tourne autour du pot avant d’aller au bout de son audace, le cinéaste allemand avait affirmé :
    « La question la plus importante est de savoir comment détruire cette société »
    Je préfère psalmodier :
    « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
    Et il y aurait pourtant tant à dire en évitant les propos excessifs qui ridiculisent les protagonistes, sur l’asservissement des femmes, la liberté d’expression, puisque le titre est inspiré de « Je suis Charlie ». Pour le coup, ce Fassbinder je ne l’ai pas trouvé très « Charlie ».
    L’hebdomadaire a été protégé par l’état policier pendant des années.
    Alors faire tournoyer sa bite sur un plateau me parait d’une impertinence surannée, triste et vaine. Et la violence de nos désillusions ne doit pas forcément tout à la barbarie du capitalisme. Quand l’éminent directeur de théâtre national emprunte aux comiques patentés qui monopolisent nos antennes quelques coups de griffes envers Yasmina Reza voire Tchekhov qui lui est dans une autre cour, on peut trouver que le niveau baisse. Il y avait bien plus d’actualité dans la Princesse de Clèves
    http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/la-princesse-de-cleves-magali-montoya.html
    que dans ce froid potage potache.
    Et de se vautrer sur la moquette à longs poils des nostalgies régressives quand la bande à Baader faisait bander.
    Les loups EI sont entrés dans Paris et les cris « au loup » en ont laissé prospérer d’autres au FN, qui peuvent se lécher les babines en entendant tous ces applaudissements d’hommage à quelques aveuglés par des soleils éteints.

  • […] un maître autoritaire qui serait très bon, gentil et juste. », comme cela était dit dans Je suis Fassbinder mis en scène par Stanislas Nordey. La réponse est assurément […]

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