(Re)lire Gide et ses Faux-monnayeurs

Paris – Saas-Fee – Paris. Une intrigue de surface – une profondeur sans fond par dessous.

Chef-d’œuvre de l’écriture, premier et dernier vrai roman d’André Gide, Les Faux-monnayeurs sont un récit dont on n’aura jamais fait le tour, jamais saisi l’ampleur, en deux-mille-quinze comme quatre-vingt-dix ans ans plus tôt. Abyme littéraire, abîme de la pensée – il fait défaut, plus que jamais.

Publié en 1925, le roman traite en apparence d’enfants orphelins ou qui se rêvent orphelins, qui se créent orphelins. C’est que Gide écrit en réaction à la morale bourgeoise, intolérante et haineuse de Barrès, de Maurasse, d’autant de figures que l’histoire littéraire aura le bon goût d’oublier. En réaction à une cellule familiale qui enferme ses membres, Gide écrit un texte virtuose, un texte de vie, risquant toujours de tomber dans le gouffre, mais se tenant en équilibre sur le fil des mots.

Un texte de liberté. Une innovation romanesque puissante : on sort, comme avec Proust, du roman initiatique amoureux et vraisemblable du XIXème siècle ; ici l’initiation est un pas dans le vide, un pas qui s’accepte en tant qu’être, que faible en puissance, avec pour seul compagnonnage des hommes et des ouvrages.

Compagnonnage redoublé. Le livre lui-même n’est pas seul, car, parallèlement à la publication du roman, Gide édite Le Journal des Faux-monnayeurs, extraits choisis dans son propre journal d’écriture. Et quand, dans le roman, le personnage d’Édouard, romancier, est traversé de considérations poétiques, ouvrant notamment l’écriture vers le corpus théorique de Bach, l’Art de la fugue, c’est en reflet des considérations de son créateur. Quand Édouard réfléchit à la conduite de son récit, c’est Gide qui interrompt sa narration pour fusionner avec son personnage. L’identification est sans fin, toujours présente, jamais vraiment exprimée, d’une fine subtilité, d’une puissance provocante. C’est peut-être cela, la littérature : l’ampleur inédite de la structure géniale des mots et des choses, avec tact et subtilité.

Reproches et solution. Gide écrit face à une littérature nauséabonde, face à des idées qui se donnent l’apparence d’une littérature pour tenter de s’extraire de la fange du nationalisme. Face à cette littérature d’idée, il élabore ce qu’on pourrait qualifier comme des ‘idées littéraires’ : le message de son texte n’est pas simplement encodé de littérature, caché sous les mots ; il est proprement littéraire – reposant sur le sublime plus que sur la logique, sur la sensation plus que sur l’émotion, sur l’ouverture plus que sur le dogmatisme : il est ce qui manque terriblement à ce triste XXIème siècle – la pensée qui ne raisonne pas, qui résonne.

André, reviens-nous, ils sont devenus fous.

André Gide, Les Faux-monnayeurs, 253 pages chez Folio
&
André Gide, Le Journal des Faux-monnayeurs, 127 pages chez Gallimard

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