Jacques Pion…

écrire la vie avec la lumière.

Photographe indépendant, issu de la promotion 1983 de l’école Lumière, il se spécialise dans le paysage et le portrait avant de porter sa focale sur des sujets davantage sociétaux et humanitaires. Sa démarche de photographe place en son coeur la relation à l’autre, le contact et le dialogue.
Chaque série de photographies est ainsi le fruit d’une longue période d’immersion au travers de laquelle il s’imprègne de la situation et de la vie locale vécue par ses modèles. C’est pourquoi ses photographies découlent à chaque fois d’une relation partagée et d’une aventure humaine sans précédent. Son style oscille entre le reportage photo et le portrait. Il a reçu le titre de la meilleure photographie de l’année 2013 dans la catégorie portrait, avec un cliché issu de sa série Visions Africaines. Habitué à être derrière l’objectif, il s’efface devant son modèle et la lumière de l’appareil.

Est-ce que vous pouvez nous parler de cette photographie pour laquelle vous avez reçu un prix ?

C’est une photographie qui fait partie d’une série en cours, Visions africaines. Elle est issue d’un premier déplacement que j’ai fait au Burkina Faso, à la frontière malienne, sur un projet qui va probablement m’emmener sur trois voyages.
Cette photo a été faite dans un village, en immersion, au contact avec les gens, comme j’aime.

Visez-vous meilleure photo 2014 ? Et puis 2015 ?

Non, pas du tout. Recevoir un prix, c’est sympa, ça fait du bien à son égo, mais ce n’est pas une finalité en soi. Je crois que c’est une conséquence d’un travail, mais je ne vais pas faire des photos pour essayer d’avoir un prix, mais parce que je crois à quelque chose et que j’ai envie d’aller un peu plus loin dans une démarche.

Quelles sont vos influences dans la photographie, dans votre démarche ? Avez-vous des modèles, des pairs ?

Je vais peut-être vous étonner mais l’influence dans la photographie, je la prends surtout dans la peinture. Je trouve que c’est dans ce domaine où on retrouve l’essentiel des règles de la composition, définies et chamboulées par les peintres au fil des siècles. J’ai un faible pour la photographie américaine de reportage du début XXème siècle. J’ai fait un voyage à New York et j’ai eu beaucoup de plaisir à voir les photos des pionniers montrant les immigrants qui arrivaient dans ce qui est actuellement New York. En fait, j’aime, plus que la technique elle-même, qu’une photographie me parle. À partir de là, elle trouve grâce à mes yeux.

Vous êtes perfectionniste ?

Un peu oui. Je prends en compte tous les détails avec la même attention, jusqu’à la réalisation finale qui va jusqu’à l’exposition de mon travail. Il m’arrive de passer quatre ou cinq heures pour préparer une image. Même si je fais peu de retouches sur les images, je suis dans l’esprit de ce qu’on faisait en laboratoire argentique, où on travaillait ses contrastes et sa luminosité au moment du tirage. Je passe beaucoup de temps à réfléchir et parfois, des images partent à la poubelle. Heureusement, j’ai une bonne âme qui veille en me disant parfois « ne jette pas cette image ».

Vous retravaillez donc très peu vos images…

Oui, ça dépend lesquelles. Certaines choses, pour de l’architecture par exemple, sont travaillées un peu plus. Mais je ne vais pas rajouter des objets, je ne fais pas de photocomposition. Je peux enlever un fil qui me gêne, mais c’est tout.

je me baisse, je me mets à leur taille, très près d’eux, j’ai un contact

Dans la littérature, la traduction est trahison, en photo, est-ce que la retouche est trahison ?

Si on a fait dire à une photographie des choses différentes de ce qu’elle pouvait dire au départ, c’est trahir.
Donc, si je fais une image d’un enfant en difficulté de santé, que je ne le trouve pas assez maigre, et que je le rends plus maigre sous Photoshop, parce que ça se fait facilement, je trahis fondamentalement le moment que j’ai partagé avec cet enfant là.
Si je fais une photo d’un mur, et que je le retravaille très fortement en noir et blanc, en densité, parce que c’est l’effet que je cherche, et que je veux cette force sombre, là j’utilise effectivement les outils Photoshop parce que c’est une composition personnelle, artistique. Pour moi, l’éthique est là, je retravaille une image parce que je souhaitais arriver à ça. Par contre, il ne faut pas faire dire à ces images-là, autre chose que ce qu’on a voulu faire au départ.

Pour vous, la photographie est un art ou un artisanat ?

Je ne me considère pas comme un artiste. Gainsbourg disait que « la photographie est un art secondaire ». Je pense qu’il n’avait pas tout à fait tort. Quand on ramène l’image à ce que les peintres ont fait, on se sent petit quand on fait de la photo, il faut rester humble.
Je ne suis pas un artisan car je n’ai pas cette logique de production et de productivité dans mon travail. J’ai une démarche d’auteur, c’est-à-dire qu’un auteur essaie un peu de réfléchir à ce qu’il veut faire, il essaie de traduire ses pensées, sa réflexion, sa façon de concevoir la vie, le monde qu’il a envie de montrer à travers ses images. Modestement, je préfère me décrire comme ça.

Vous sauriez me donner le pire aspect de votre métier ?

Non. C’est un beau métier, il n’y a pas de pire aspect. Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est de pouvoir en vivre, de façon régulière, ça oui, c’est de plus en plus compliqué. Mais ce n’est pas la mine !

Et le meilleur aspect ?

Je crois que le meilleur aspect c’est de pouvoir rencontrer toutes ces personnes avec qui j’ai eu l’occasion de faire quelques images. C’est là qu’est le vrai plaisir de ce métier.

Comment appréhendez-vous la photographie ?

Pour moi, l’acte photographique est quelque chose qui intervient à la phase ultime d’une relation qui s’est mise en place ; et qui, en tout cas, pour ce que je veux faire, me met dans un état presque second au moment de réaliser la photo. C’est, et je ne veux pas trop exagérer, une sorte d’état particulier… Quand on rentre dans son sujet, quand on rentre en phase, en compréhension avec ce qu’on est en train de réaliser, il y a une force intérieure de ressenti qui me pousse à réaliser l’image à un moment donné.
C’est là où j’arrive à peu près à faire de bonnes images. Quand je ne suis pas dans cet état second, je fais toujours du mauvais travail.

Faites-vous une différence entre la photographie de reportage et les portraits que vous réalisez ?

Avec le reportage on est dans l’instantané. Ce qu’il y a de différent avec la photographie dite sociale, humaine, c’est que l’on est dans une logique de relation, avec une personne, qui va aboutir à un acte photographique ; cette relation a été bâtie, consolidée, on est rentré, un peu, dans le trip de la personne. On essaie de comprendre ce qu’elle est en train de vivre, que ce soit un SDF, un villageois, ou un patron d’entreprise. Je dirais que l’acte photographique arrivant, on va le réaliser, mais avec une logique de rapport un peu consenti, c’est-à-dire que la photo ne va pas être dans une logique d’instantané comme pour le reportage peut l’être, mais dans une logique où on aura préparé ce moment là, et où la personne va se laisser aller. On va le vivre à deux.

Est ce que votre métier ce n’est pas aussi de capter des choses que le modèle ne perçoit pas forcément ?

Oui, bien sûr, la notion d’instantané existe toujours. Sauf lorsque vous êtes dans du reportage pur, vous ne préparez rien, vous êtes dans un événement, vous photographiez, vous prenez certains éléments pour essayer de composer quelque chose qui va avoir du sens pour illustrer ce qu’il se passe. Quand on est dans la logique d’une photographie construite, avec autrui, on va préparer. Je vais avoir un dialogue avec la personne, je vais essayer de comprendre ce qu’elle vit. Quand j’aurai compris ce qu’elle vit, je saurai quoi aller chercher dans l’image. Mais effectivement, il y aura toujours cette notion d’instantané, on ne peut pas l’enlever dans la photographie.

Dans des situations de guerre, il y a la question morale de l’humanité qui est remise en cause, comment un photographe peut vivre et répondre à cette question, jusqu’où le photographe peut aller pour prendre sa photo ?

Ce n’est pas une question nouvelle. A chaque fois qu’une photographie obtient un prix, un World Press, la question se pose avec une polémique qui peut naître. Est-ce que le photographe doit être acteur de l’événement qu’il vit, est-il simplement observateur uniquement là pour ramener, pour traduire ? C’est toujours très compliqué de répondre à cette question.
Je pense qu’on doit rester le plus longtemps possible un témoin qui ramène une information, une image, une vision des choses, mais il ne faut pas que ça franchisse une certaine barre éthique ; c’est-à-dire que je considère que chacun fait avec son niveau de tolérance et d’éthique. Si un certain niveau est franchi, je ne fais pas, je ne fais plus, ou je fais différemment, mais c’est difficile de donner une règle. Ce sont vraiment des choses qui se vivent.

Avez-vous été dans cette situation de dire, « non je ne fais pas » ?

Oui, il y a des choses que je n’ai pas faites. Quand vous êtes face à des enfants qui peuvent être dans des situations compliquées par exemple, vous vous posez forcément la question de l’intérêt de faire une photo ou de ne pas la faire. Je pense qu’une image est là pour servir quelque chose qui va expliquer une situation, qui va permettre de faire comprendre, elle doit avoir un intérêt. Si c’est simplement pour faire un beau shoot, et puis la classer… non. Il faut respecter ce que vous faites.
Ce type de travail est dans l’instantané encore une fois, quand les situations sont compliquées et chaudes, vous pensez tout d’abord à vous protéger, à protéger ceux qui sont éventuellement avec vous, ceux qui nous accompagnent et qui essaient eux aussi de nous protéger. Sur l’instant, je pense qu’on n’est pas forcément dans le conscient de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Ensuite, il y a des photos qu’on a pu faire, mais dont on dit après, non je ne veux pas la sortir. C’est également possible.

Cela vous arrive-t-il souvent ?

Non, plus maintenant. J’ai récemment fait des images pour des ONG, avec des enfants qui étaient parfois dans des situations difficiles, mais cela était au service du travail des ONG, donc cela avait un sens. Je photographie toujours les enfants à leur niveau. Je me baisse, je me mets à leur taille, très près d’eux, j’ai un contact. Je ne suis pas à vingt mètres.

On a l’impression quand vous décrivez votre travail, que vous êtes très solitaire finalement, seul avec votre appareil, malgré tout ce qui vous entoure. Est-ce que vous avez beaucoup d’amis photographes avec qui vous échangez ou partagez ?

Oui, j’ai des amis photographes mais je pense que c’est un métier solitaire. Je ne sais pas faire une photo à plusieurs. En clair, je ne peux pas travailler à plusieurs, je travaille seul. Je suis

après que je sois redevenu poussière

insupportable quand je bosse, donc, il vaut mieux que je sois seul. Deuxième chose, je ne sais pas travailler en groupe. C’est vrai que, dans une démarche d’auteur, on est dans une réflexion qui est un peu solitaire, dans sa propre réflexion qu’on essaie de traduire, donc forcément il y a cette dimension d’unicité. Elle est là, je ne peux pas la nier.

Est-ce qu’il y a un photographe auquel vous auriez aimé être comparé ?

C’est une question difficile, car il y en a beaucoup. On voudrait toujours être comparé, être l’égal de… J’ai beaucoup d’admiration pour les pionniers de la photographie. Je pense qu’ils ont presque tout fait. Ils avaient le matériel qu’ils avaient. J’ai une très grande admiration pour les pionniers, dont Doisneau, parce qu’il ont vraiment amené un regard, une façon de concevoir le cadre, l’image. Ce qui me ferait plaisir, c’est qu’au moins une de mes images reste après que je sois redevenu poussière. Voilà, ça me ferait plaisir, et j’aurais peut-être à ce moment là, l’impression d’avoir effectivement été, un tout petit peu l’égal de…

Vous dites qu’une photo pourrait vous rendre immortel, vous survivre… Vous avez pensé à ce que l’on pourrait dire de vous après votre mort ?

Non, du tout, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est le présent. Quand je serai mort, ils feront ce qu’ils veulent… Je ne suis pas dans ce trip là parce que ça fait partie des choses qui se font après. Cela ne hante pas mes nuits, mes réflexions, et quand je fais une image, je ne pense pas à ça.

Que peut-on vous souhaiter pour votre avenir ? Que voudriez-vous être dans dix ans ?

Dans dix ans, j’espère pouvoir continuer à faire le travail que je fais aujourd’hui. Je n’ai pas de prétention de célébrité, je voudrais pouvoir continuer à aller au devant de gens et de cultures différentes, pouvoir partager certains moments de la vie des gens et pouvoir continuer à faire des images.

Pour finir, qu’avez-vous à crier au monde ?

Je dirais une seule chose, quoique vous fassiez, faites-le par passion, et vivez-le !

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