Ephata

La folie m’apparaît comme une sorte d’hydre à têtes variées et changeantes, qui gravite, s’insinue, serpente le long du tronc des hommes et les possède parfois.

La folie en tant que germe pathologique inné, présent en chacun, selon des degrés d’intensité et de représentation différents, exacerbe et alimente entre autres la dualité et les troubles mimétiques chez la personne. Elle est source de vie, d’énergie et de mort, à dompter à l’intérieur de soi. La réduire à l’aliéniation, aux actes insensés, aux troubles mentaux, serait simplifier abusivement une réalité complexe, et par ce fait, peut constituer chez certains une tentative un peu foireuse d’immunisation. La folie de notre époque, visuellement flagrante, qui pointe dès l’aube et se couche tard dans la nuit, est une folie assez inédite, excitée par les connexions, exacerbée par le matérialisme, l’égocentrisme et l’athéisme, elle véhicule cependant la vieille idée sempiternelle de l’homme affranchi de dieu, mais ajoutant à ses données, l’ajout phare, épatant, majeur, éclatant : l’homme désormais affranchi de la pensée et de la réflexion. Je vois des êtres connectés au vide éloquent de leur anus et de leur visage voilé d’écran se déclarer sains d’esprit et de corps… Un long silence règne.

Cette folie qui domine et prévaut sur les âmes d’Occident, les rendant ainsi de plus en plus mesquines, fourbes, démentes et tracassières. L’époque moderne englobe d’aliénant tout ce qui éloigne en somme l’homme de l’homme, l’homme de son visage. La liste est longue et bien futile, de Facebook aux pornos des écrans. La folie qui loge dans le cœur vide des hommes déspiritualisés, exclut tout lien de parenté avec la folie créatrice, celle de l’acte créateur, dans lequel jadis l’artiste y puisait son art, y éjaculait sa trajectoire en champ d’émotion, son itinéraire intérieur devenu Art.

La folie, si je dus en effleurer le détail,
C’est ce bateau conçu sans gouvernail,
Qui dérive sur les rails d’un Océan en pagaille.

C’est l’oiseau d’hiver transi, quand le froid sévit et s’étend,
Qui picore morceau de gras, quand de glace est l’étang,
Dans une petite cage grise à l’abri d’un auvent,
Qu’humain avait attaché pour lui,
Le cœur content, la faim disparue,
Son chant qui reprend.

La folie, c’est t’aimer comme on aime l’Océan,
Attendre fébrile ton retour, un long mois d’aliéné,
Pour absoudre cet amour en suspens, mon amour, cet amour gênant,
Pour s’en arracher, entre tes reins noirs, le soir des retrouvailles,
Où palpite la musique de tes entrailles, où palpite la musique de tes entrailles.

La folie, c’est avancer dans sa vie, sans but défini, avec ses quelques livres
De solitude, ne demander rien à personne, n’être jamais redevable, las et indifférent,
Attendre la mort en s’oubliant, attendre la mort en battant la campagne,
En échappant aux hommes, en suivant ruisseau chantant, comme on suit une odeur plaisante,
D’amasser pour soi des trésors inestimables, la découverte de l’art en soi, qui sert à que dalle, qui augmente malheur, accroît nos peines, qu’on est bon qu’à crever oui monsieur mais avec éloquence !
Quand viendra l’heure folle du départ vers les profondeurs montantes qui dépasse
L’imagination de tous les horizons.

Enfin, c’est ce prêtre étendu tué, gisant son aube tachée de sang,
Dont le souffle fut ôté, d’avoir trop aimé, d’avoir trop aimé.

Photographie à la Une © Grégory Dargent.

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