La persévérante.
Elle est la femme combattante qui construit des ponts, ceux qui lient le théâtre et la musique, le corps de l’acteur et le souffle du musicien, le texte et le rythme, le fond et la forme… Elle travaille sans cesse avec rigueur mais fantaisie. Elle est une lumière résolument féminine de la scène francophone.
Comment êtes-vous arrivée au théâtre ?
J’ai grandi dans une famille de musiciens. Très jeune, je voulais faire du violon mais mes parents sont reconnus dans ce milieu alors j’avais envie de m’en démarquer. J’ai toujours eu envie de réunir le rythme, la musicalité, tout en pouvant raconter quelque chose d’une manière qui soit la plus expressive possible. C’est cette envie de raconter des choses qui m’a amenée au théâtre.
J’ai fait partie d’une équipe d’improvisation au centre de pratique musicale d’Annecy. Puis j’ai fait l’option théâtre au lycée Charles Baudelaire avec Dominique Oriol. C’est une rencontre qui m’a ouverte au théâtre contemporain et qui m’a fait découvrir des auteurs sur lesquels j’ai eu envie de travailler comme Sarah Kane, Heiner Muller ou Bernard-Marie Koltès.
En parallèle, j’ai continué ma formation musicale et après le bac, j’ai décidé de faire une école d’acteur. J’étais déjà intéressée par la mise en scène mais je voulais avoir une formation de comédienne, éprouver moi-même les choses pour être apte à diriger les gens et comprendre ce qu’être sur un plateau veut dire. Je suis donc entrée à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes, puis j’ai été, à ma sortie d’école, engagée auprès de Ludovic Lagarde, Olivier Cadiot et Laurent Poitreneaux comme comédienne dans l’équipe permanente de la Comédie de Reims.
Par la suite, j’ai rencontré Didier Girauldon qui est, comme moi, metteur en scène et comédien et avec qui j’ai décidé de collaborer sur plusieurs projets. C’est une belle rencontre artistique, nous sommes très différents mais nous nous complétons.
Aujourd’hui, je pense faire des spectacles très féminins, et il est sans doute l’œil masculin dont j’ai besoin et vice-versa. Je m’interroge beaucoup sur la question du féminisme ; les femmes qui sont moins représentées dans la culture, par exemple. Comment peut-on continuer à résister, tout en faisant des spectacles sensibles qui ne soient pas juste un coup de poing politique mais une recherche du politique dans le poétique ?
La musique reste-t-elle indissociable de votre travail au théâtre ?
Petite, je voulais être chanteuse d’opéra, car c’est l’art qui allie au mieux le théâtre et la musique ; aujourd’hui, je mets en scène des opéras. Je travaille énormément avec des musiciens, ma démarche de comédienne et de metteure en scène est toujours liée à la musique : soit par le choix des auteurs que j’ai envie de monter, soit par des écritures sur lesquelles j’ai envie de travailler. Je collabore avec des ensembles en tant que metteure en scène, comédienne ou violoniste sur des concerts, essentiellement de musique baroque, de musique contemporaine ou de la poésie sonore.
Mon approche se rejoint sur un point, je travaille la musicalité du texte et la manière de le rythmer. Cela exige un travail toujours très précis sur la conscience du corps. Comment s’inscrit la précision d’un rythme, à la fois dans le débit de parole, dans les changements, dans les modulations de la voix ou encore dans l’utilisation de l’amplitude vocale ? Ce n’est pas quelque chose que l’on utilise beaucoup en France ; de par la musicalité de la langue, c’est plus facile avec l’anglais ou avec l’italien.
J’essaie de chercher une diction qui ne soit pas une diction réaliste, ce qui ne veut pas dire que je vais me mettre à parler d’une manière bizarre ou théâtrale. J’ai lu beaucoup d’ouvrages sur le théâtre baroque. Au XVIIIème siècle, on utilisait une amplitude vocale qui était très différente de celle que l’on utilise à présent. Les femmes allaient du suraiguë au grave dans une même phrase. Je pense que c’est par la distance que l’on peut toucher les gens ; le son peut être un vecteur d’émotion chez le spectateur. Comme le disait Sarah Kane, « le fond c’est la forme. » Donc, quand on va au plus près de la forme, on sera au plus près du fond.
Quel rôle joue la transmission dans votre parcours ?
Je suis très curieuse de découvrir de nouvelles manières de travailler. On me demande souvent quel rôle je voudrais jouer dans ma vie, mais je n’ai pas envie de jouer tel ou tel rôle. Par contre, j’ai envie de travailler sur certaines écritures, avec certains metteurs en scène pour des raisons de forme et de poétique, que ce soit la poétique d’écriture ou la poétique d’une écriture de plateau. J’aime les metteurs en scène qui s’intéressent à la musique et qui sont près du travail de l’acteur.
Par ailleurs, je pense que la transmission est essentielle. Depuis des années, j’anime des ateliers dans plusieurs théâtres (Les Amandiers, La Comédie de Reims…) ou dans des lycées, et je donne aussi des masterclass pour l’interprétation théâtrale des chanteurs dans des conservatoires ou opéras. Le théâtre a encore une mission sociale, d’épanouissement personnel et d’épanouissement collectif. Il permet aux gens d’aller au-delà de leur timidité et de s’exprimer en public, ce qui est important dans tous les métiers. En tant que metteure en scène, j’essaie de ne pas être pédagogue, car je ne veux pas me placer dans un rapport de supériorité. J’effectue énormément de recherches, je m’inspire des plasticiens, des expositions que je vais voir, des concerts, des partitions. Je ne demande pas aux acteurs d’improviser. Je me place plutôt en compositeur qu’en pédagogue.
Être metteur en scène au théâtre est-il similaire au fait d’être metteur en scène à l’opéra ?
Non, car les modes de production sont très différents. Pour un opéra, il faut être dans l’efficacité. Les chanteurs d’opéra ne sont pas tous des acteurs, mais j’essaie de les considérer comme tels. Au théâtre il y a plus la possibilité d’improviser, d’inventer en direct ou de laisser les acteurs proposer avant de fixer les choses.
Quel type de jeu cherchez-vous ?
Avec le public j’essaie d’être simple, directe, sincère et sensible. J’aime parler au public. Je cherche un jeu sincère, j’essaie de ne pas fabriquer, de sentir ce qui se passe dans mon corps. Si je dois pleurer dans une scène, je ne serai pas du tout dans un travail psychologique ; je vais chercher de quelle manière lâcher mon diaphragme, comprendre comment fonctionne mon corps et par quels moyens je vais pouvoir reproduire cette chose-là. Ce sera forcément sincère puisqu’il s’agira de mon corps au moment présent.
Dans mon spectacle La Fonction de l’orgasme, ce qui m’intéresse c’est de pouvoir m’adresser frontalement aux spectateurs, sans quatrième mur. Je veux être au plus proche des gens.
Quels sont les limites de la liberté de votre métier ?
Les sujets qu’on aborde au théâtre doivent avoir une valeur sociale. Je ne suis pas dans la narration, je ne raconte pas une belle histoire, j’ai besoin de transmettre quelque chose : pas une morale, mais une matière à réflexion. Sur scène, c’est un devoir de parler des sujets auxquels on n’accorderait pas forcément assez d’attention parce que parfois tabous ou anodins, alors qu’en réalité, ils sont fondamentaux. Le théâtre, c’est aussi apprendre à regarder mieux ou autrement le réel, c’est donner à voir l’invisible. Foucault dit « Pourquoi la sexualité fait peur ? Car c’est la seule chose qui fait qu’on est au plus près de notre vérité. » La liberté que l’on a dans ce métier est indissociable d’un devoir d’apporter des choses importantes à la scène.
Photographie à la Une : Constance Larrieu © Éric Girauldon.