Une pièce majeure.
La dernière création de Milo Rau présentée pour la première fois au théâtre de Vidy-Lausanne marque la fin d’une trilogie interrogeant l’histoire européenne. Empire est sans nul doute, une pièce qui frappe les cœurs, les corps et les esprits.
Milo Rau porte un regard tranchant sur le monde contemporain et le livre en toute justesse dans sa nouvelle création Empire, dernier volet d’une trilogie européenne commencée en 2014 avec The Civil Wars puis The Dark Ages, en 2015. La pièce interroge le destin de quatre acteurs, une Roumaine – Maia Morgenstern, un Grec – Akillas Karazissis, et deux Syriens – Ramo Ali et Rami Khalaf, en résonnance avec les mythes antiques dans une Europe qui semble oublier ses racines et ne sait pas ce quel sera son avenir.
D’entrée, nous sommes confrontés à une immense bâtisse en ruines, au pied de laquelle s’amoncèlent les stigmates d’une guerre passée ; cela pourrait tout aussi bien être un vestige d’un palais occidental à l’architecture gothique, qu’un autre au Moyen-Orient. Lorsque les acteurs tournent ce module, nous basculons dans l’ancienne cuisine de Ramo Ali en Syrie, et c’est là qu’est donnée une parole que l’on ne pourrait pas entendre de cette manière, ailleurs. Chacun va filmer tour à tour les autres, comme pour laisser une trace, un message prenant place dans la réalité du présent pour mieux le transmettre à nos regards de citoyens parfois détachés de ce qu’il se passe « loin » de nous.
Nous connaissons actuellement les frontières géographiques de l’Union Européenne, mais l’histoire de l’Europe s’inscrit bien au-delà, dans un Empire qui a tissé une véritable toile d’araignée au fil des siècles. Au travers des histoires très concrètes des quatre acteurs, c’est cette toile que Milo Rau explore et déroule. Ainsi, les accords Sykes-Picot au Proche-Orient en 1916, la Révolution russe qui a suivi la Première Guerre Mondiale, les déportations sous le régime nazi, la Dictature des colonels en Grèce à la fin des années 60 ou la guerre en Syrie actuelle s’entremêlent.
Tous ces faits vécus directement ou indirectement par les comédiens ou leur famille nous emmènent dans des zones d’inconfort – comme lorsque l’on voit défiler les photographies d’hommes morts sous la torture du régime d’Assad, partageant ainsi le besoin de réponse d’Amir Khalaf sur ce qu’il a pu arriver à son frère disparu. À partir d’une parole intime, chacun des protagonistes trouve la juste distance en ne basculant jamais dans la compassion qui se voudrait trop émotive ou liée à l’affect.
Nous sommes également mis sur le chemin de l’héritage d’une violence au travers des âges qui prend ses racines dans la Grèce antique notamment au travers du mythe de Médée ou de Jason. Remontant jusqu’aux origines, au berceau démocratique, Empire interroge avec brio les enjeux sociétaux et géopolitiques actuels qu’ils soient liés aux guerres, à l’exil, à la religion et avant toute chose notre rapport à l’être.
Photographie à la Une © Marc Stephan.