La Paz

La Paz

Rencontre avec Santiago Loza pour l’avant-première française de son dernier film.

Un regard fixe et perdu, le regard de Liso.
La Paz s’ouvre comme un silence, un mutisme abrupte qui se reflète dans les yeux sans horizon de ce jeune patient d’hôpital psychiatrique, alors qu’une amie d’infortune lui déclare son amour : « Il ne faut pas que tu remettes les pieds ici Liso. Tu comprends ? Je ne veux plus jamais te voir « . Le baiser qui suivra ces mots ; violent, maladroit, donne au film de Santiago Loza toute sa couleur, une teinte brumeuse et mélancolique, à l’image de celle qui plane autour du héros – désormais soigné, pas tout à fait guéri – tentant avec la délicatesse d’un nouveau né meurtri de reprendre contact avec le réel. Un processus lent d’acclimatation, un retour à la réalité incertain, parfois tendre, parfois brutal et sans rémission, mais jamais sans poésie, amené par cette touche de douceur que ponctuent les fables fantasmées de nos vies. La réalisation caméra au poing, impudique et frontale, nous plonge dans le quotidien d’un jeune argentin remontant difficilement la pente après son internement.

La Paz explore la précarité de nos unions ; amoureuses, sociales ou sexuelles, comme dans cette scène où Liso explique à la prostitué qu’il vient de consommer, la raison de la présence du visage de son grand-père tatoué dans son dos :  » Pourquoi ? Parce ce qu’il ne me posait jamais de question « . On s’interroge alors sur la fragilité de l’existence qu’essaie de reconquérir cette enfant issu de la classe moyenne argentine, sa capacité à oublier son passé, à rompre les liens qui l’unifiaient avec ses plaies pas encore refermées. Les relations de Liso sont peu nombreuses, surtout silencieuses, et l’on se prend à écouter comme lui les confidences, les avertissements et les conseils désespérés auxquels se livrent les rares personnes qui l’entourent. Un père chef d’entreprise amateur d’armes à feu, une petite amie déçue par son ancien amant et une mère, affectueuse, inquiète, presque étouffante et qui par ses paroles de consolation confinant à l’angoisse, par ses gestes trop langoureux, frôlant avec la frontière de l’amour maternelle et charnelle, emprisonne son fils prodigue et choyé dans un monde de pure illusion. D’un rêve à l’autre, entre souffrance post-traumatique et appréhension d’une nouvelle réalité, seule la compagnie de Sonia, la gouvernante bolivienne de maison, et l’affection de sa grand-mère semblent pouvoir remettre Liso sur pieds. Sur sa bécane rutilante, offerte comme un lot de consolation par une mère amoureuse, Liso arpente les rues d’une Argentine dépouillée, un paysage flou qui défile autour de lui, et dont la consistance physique ne semble se fixer qu’au travers de lieux clos, de moment statiques et pesants dans la maison familiale où le jeune homme évolue tel un spectre sans conviction.

« Je ne veux rien. Si, j’aimerais bien avoir un enfant. » Ces mots, lâchés par Liso au visage d’un père qui semble plus ou moins s’enquérir du sort de son fils en-dehors de leur session de tir, exprime pleinement l’inconsistance dans laquelle le héros en pleine dépression projette son avenir ; un avenir porté par l’abandon à l’enfance, la reddition d’un être à sa propre fragilité. Fuir la réalité, atteindre le bonheur par la dépendance pour espérer conquérir la Paix, (un désir impossible comme le dit lui-même le réalisateur), semblent être le seul chemin que Liso puisse emprunter pour atteindre le bonheur, ou du moins une existence exempte de douleur. La Paz s’étend alors devant nos yeux comme une fable, enchanteresse dans sa mise en scène séquencée – sept chapitres de naïveté ; le jardin, la moto, le temps, etc… – merveilleuse par ses plans vaporeux et ses dialogues de vie banales, mais asphyxiante dans sa langueur, dans cette tension qui atteint son paroxysme avant le dernier chapitre. Si le réalisateur – comme il nous le confia dans un débit de paroles contrastant étrangement avec la lenteur de sa création – explique que l’étiquette Art et Essai lui importe peu et que son film est teinté d’humour – un humour grisâtre cela va de soi- et ainsi l’on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en sortant de cette projection. La Paz, une ville gargantuesque de Bolivie où Liso souhaite suivre sa femme de ménage, La Paz, où il pense pouvoir fuir son existence ; La Paix, vers quoi tout semble se fondre ; est une métaphore d’absolu, une solution utopique et implacable vers laquelle Santiago Loza parvient, par les routes tortueuses et grotesques de nos vies, à amener nos regards critiques de spectateurs. Le réalisateur argentin signe ici une œuvre intimiste de qualité, à la saveur douce-amère, et prouve que le cinéma d’Amérique Latine est encore une fois un vivier de talent et d’espoir. Une heure et treize minutes de cinéma qui, s’il ne nous conduit pas à la paix intérieure, peut sans doute nous faire accepter le rythme brisé de nos vies.

Entretien exclusif avec le réalisateur !

Quel est votre rapport avec le théâtre ?

J’ai commencé ma formation avec l’écriture théâtrale, le cinéma m’a permis de découvrir autre chose. Je m’attache à la vie et la psychologie des personnages. Le censure était encore de vigueur en Argentine lorsque je faisais mes études, je voyais les films et lisais les pièces en cachette. Aujourd’hui je base mon cinéma là-dessus. « La paz » est un film qui n’est pas réaliste, il y a beaucoup de détails des situations qui dénotent de la réalité, ce qui permet de recentrer l’attention sur les personnages et c’est ce qui m’intéresse. J’ai écrit les rôles pour ces acteurs, dans leur environnement, c’est leur maison dans la réalité.

Vous parlez de trait d’humour, je ne l’ai pas forcément trouvé…

Il se trouve dans le décalage entre la situation sociale et ce que vivent les personnages. Et la fin est quand même belle.

Vous livrez forcément une partie d’intimité dans vos films ou est-ce que vous l’imaginez ?

On imagine forcément…et on livre une partie de nous également. Mais disons que je suis surtout inspiré par le cinéma, le théâtre et la télévision. C’est le monde qui m’entoure qui inspire les histoire que je peux raconter.

Que vous pouvez ou devez ?

Que je peux. Je veux quelque chose qui ne m’appartient plus à partir du moment où il est posé sur le papier…

Pour voir les séances, RDV sur le site du Cinéma Victoria

Killian Salomon

Rédacteur / Auteur

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