Le Songe de Sonia

Du vrai théâtre contemporain — du bon.

Jusqu’au 7 novembre, découvrez aux Célestins la fureur de mourir — et donc, d’aimer — d’une merveilleuse troupe Russe, et retrouvez foi en un théâtre contemporain sincère.

C’est un peu angoissant, d’assister à une heure et demie de théâtre contemporain en russe. Théâtre contemporain. En Russe. Vraiment contemporain. Mais l’angoisse n’est pas là où on le croit : le Théâtre KnAM de Tatiana Frolova offre un moment de sensibilité et de profondeur, de vie, à partir d’une adaptation du Songe d’un homme ridicule de Dostoïevski, et à partir d’eux-mêmes.

Du théâtre « contemporain » ?

Oui, vous savez, cette chose étrange qui vous ennuie, qui vous lasse, vous fait osciller du what the fuck ?! au c’est facile, moi aussi je peux le faire (me mettre tout nu et danser sans musique), qui vous fait regretter que vos impôts financent ces gens et qui, finalement, vous fait devenir un vieux con aigri qui s’ennuie. Autrement dit, qui déconstruit la narration, qui cherche à vous toucher hors de tout langage pré-établi, qui interroge les a priori de nos perceptions et de nos représentations. Quand c’est bien fait, c’est cet autrement dit. Le Songe de Sonia, c’est cet autrement dit.

Loin de toutes les mauvaises expériences de spectateurs choqués et ennuyés (qui, pour dissimuler la gêne, proclament que cela est juste inepte), loin des clichés que nous finissons tous par véhiculer à un moment où à un autre (comme ce « top 10 des raisons de détester le théâtre contemporain », publié par un auteur visiblement traumatisé par l’expérience d’un Novarina), loin de tout cela, il y a le Théâtre KnAM.

C’est pleinement contemporain : le texte initial est malaxé, l’expérience personnelle verse directement dans l’œuvre artistique sans préoccupation de décence sur-faite, le numérique est présent sur le plateau, l’épique théâtral facile est refusé. Mais c’est beau. C’est une extrémité de la production théâtrale contemporaine, mais c’est une juste extrémité : ils ne sont pas là pour choquer, ils sont là pour parler. Et, pour parler vraiment, il leur faut déconstruire la poétique habituelle du plateau : la majeur partie de la régie est effectuée par les trois comédiens, à vue, et la parole est directe, forte, sans mélo ni poétisation à peu de frais : ils ont besoin de parler, ils doivent te dire quelque chose : leur besoin est absolu, leur sincérité également. Je crois n’avoir jamais apprécié auparavant le jeu naturaliste (qui nie une certaine forme de théâtralité pour lui substituer une sincérité intérieure absolue : l’acteur ne joue pas, il vit) — là, c’était sublime. Pas une seconde, pas un haussement de sourcil qui ne fût juste. Ils ne jouent pas, ils disent.

Poétique du suicide.

Ils font émerger lentement, précieusement et à grandes manducations populaires, une parole totale : celle de Dostoïevski, celle de Sonia Gromova, quatrième comédienne de la troupe, demeurée en Russie, celle de la langue qu’ils tissent eux-mêmes. Une parole sur le suicide, comme acte de vie. Sur le grand paradoxe : cet acte d’affirmation absolu qu’est la négation de sa vie, c’est une question d’amour.

Le Songe de Sonia

Le Songe de Sonia

Rien dans la pièce n’est gênant. Rien n’est obscène, tout est doux. Il y a simplement une ample parole qui dit la nécessité d’un amour, le sens de la présence dans un groupe ; qui dit aux spectateurs ce que cette station au bord du gouffre signifie — qui fait en sorte que « le temps d’un spectacle, ils ressentent la force de l’amour qu’ils portent en eux, amour qui peut se transformer en haine s’il est refoulé, étouffé. »

Ayez l’audace délicieuse d’assister au Songe de Sonia, par le Théâtre KnAM de Tatiana Frolova,

Du 15 au 23 octobre aux Célestins dans le cadre du festival Sens Interdit,

Du 3 au 7 novembre dans la programmation régulière des Célestins.

Et retrouvez-les encore,

Le Vendredi 13 novembre au Théâtre de Brive — Les Treize Arches,

Les 18 et le 19 novembre au Théâtre la Vignette — Montpellier,

Le 21 novembre aux Bancs publics, Friche de la Belle de Mai — Marseille,

Le 26 novembre au Monfort Théâtre – Paris.

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