Martha Gey

L’intime.

Effleurer une hyper sensibilité et se rendre compte que l’on frissonne de tant d’écoute et de générosité. Danser sur le rythme du cœur et sublimer la fonction primaire du corps de n’être qu’enveloppe charnelle.

Comment exprimeriez-vous la danse ?

La danse serait ces paroles qui sont comme une force invisible exprimée organiquement. Je sens aujourd’hui cette liberté. La danse ce serait,  un souffle, une impulsion, une force qui vient de l’intérieur, des perceptions et des messages sensoriels et organiques, une forme qui n’aurait peut-être plus aucun rapport avec la danse. Je sens aujourd’hui une liberté et une maturité qui me poussent à retrouver un langage universel, une parole essentielle, à la fois marquée et détachée de toutes les techniques reçues et les courants traversés.

Quel serait le bruit de votre état d’âme ?

Ce serait le murmure d’une paix en devenir et le bourdonnement incessant d’un monde encore plein de peur, mêlés d’un cri de joie d’être reliée à la nature, et un long soupir de bonheur comme une inspiration dont je prends la mesure pour y inviter le monde. C’est un souffle à la fois puissant et inaudible comme un silence, comme lorsqu’on n’a pas besoin de bouger mais que la danse est terriblement visible et présente.

D’où vous vient cette liberté ?

Au fur et à mesure des pas que j’ai faits, je savais que j’étais sur le bon chemin, je savais que j’étais là où il  le fallait et quand il le fallait. Plus on avance, plus on cherche, plus on acquiert une force et une expérience, une lucidité. Ce qui est intéressant c’est de vraiment « poser les choses » et de prendre du recul. On peut marcher sur un chemin avec des  bagages que l’on croit nécessaires, mais on peut aussi se sentir très encombré. Aujourd’hui, mes maitres m’entourent toujours, je garde ces compagnons de route que j’incarne quelque part tout en me permettant une extrême liberté.

Martha Gey © Cie Écoute s'il danse

Martha Gey © Cie Écoute s’il danse

Sur quel chemin êtes-vous ?

Mes premières formations de danse ont été déstabilisantes, fragilisantes et très éloquentes. J’ai dû m’approprier des idées qui ne m’appartenaient pas et que je ne comprenais pas toujours. J’ai dû trier pour me fortifier et me sentir en accord. Je me suis aussi posée la question de savoir comment faire pour déconstruire, pour se reconstruire, se construire vraiment. Le monde nous met dans l’obligation de cette authenticité, d’être le plus sincère, le plus vrai possible, sans tricher, sinon nous sommes perdus. Quand j’avais vingt ans, j’avais l’impression de ne rien connaître d’autre que cet élan de vie à danser. Je pense que la période la plus palpitante est celle où j’ai commencé à douter. C’est comme un processus de création, l’envolée qui suit permet un renoncement, un vide en soi. Le plein qui arrive juste après est extraordinaire.

Dialoguez-vous avec vous-même ?

Je suis attentive à ce que je vis tous les jours. Je travaille dans les écoles avec des enfants de tous les âges, je suis en contact avec des personnes âgées, des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, avec des gens de tout horizon, avec des artistes. Non, je ne dialogue pas avec moi mais avec le monde qui m’entoure. Si je ne dialoguais qu’avec moi, cela impliquerait que je suis marginale alors que je me sens tellement investie dans chacune de mes missions, et dans chaque nouvelle rencontre… Échanger, me semble fondamental pour avancer.

La transmission est-elle importante ?

Quand je suis avec des danseurs débutants, je leur dit qu’ils ne vont pas faire de la danse, mais qu’ils vont danser ; « faire de la danse » implique quelque chose venant de l’extérieur. Transmettre, comme disait Pina Bausch, c’est s’adresser aux âmes. Je sens à quel point chacun peut avoir oublié sa singularité, son unicité, son unité, et souffrir d’un corps non conforme, d’où la nécessité de transmettre une danse qui puisse revenir à l’être, une expression libre et plus spontanée, une création de chacun, finalement plus incarnée. En fin de séance, chacun s’étonne d’avoir dansé. C’est cet espace de recherche et de liberté que je veux offrir dans les cours et les ateliers. La compagnie que j’ai fondée avec ma sœur, Katy, s’appelle Écoute s’il danse, elle est née d’une rencontre d’un musicien et d’une danseuse ; l’idée de départ était d’écouter la danse et de voir la musique, c’est l’idée que chacun peut nourrir l’autre.

Quels sont vos pairs ?

C’est assez difficile à expliquer mais quand je regarde Pina Bausch et ses danseurs, j’ai l’impression d’être son disciple, sa sœur et sa compagne. Chaque fois, c’est une émotion très forte. Si je pouvais danser aujourd’hui sur une scène avec Pina, je pourrais me dépouiller, me « mettre à nue », pour dire aussi cette danse qui est terriblement humaine.

Martha Gey 03

Martha Gey © Cie Écoute s’il danse

Comment vous définiriez-vous ?

Si je devais me nommer je me définirais comme pédagogue / chorégraphe. Je n’ai jamais excellé dans une technique de danse. Je ne me sens pas comme une danseuse où la technique est trop parfaite au point d’en devenir ennuyeuse ou d’en oublier l’essence. J’aime être déstabilisée par de nouvelles sensations et aller vers ces mouvements à l’infini, ou des mouvements qui n’existeraient pas. Ce qui m’étonne, c’est d’avoir l’impression d’être toujours au début de quelque chose. J’éprouve du plaisir à chercher avec des danseurs et de pouvoir leur donner le désir de créer et de vivre cette expérience-là avec conscience.

Quelle musique vous parle ?

J’ai écouté récemment un morceau de Christophe et j’ai éprouvé une grande sensualité, sans doute celle qui vibre dans les êtres. C’est aussi quelqu’un qui a cette qualité de chercheur dans les sonorités, la couleur de sa voix, les mots humains, c’est pour cela que je suis sensible à ce personnage. Il a un côté mystérieux qui me plait. Ce titre, Intime, me correspond bien, car je crois que ce que je vis avec les personnes est de l’ordre d’une intimité qui peut se dire.

Quand vous êtes seule, dansez-vous ?

Oui, dès que quelque chose de vif me saisit, j’ai besoin de l’exprimer, quelques fois au bord des larmes. C’est mon côté fleur bleue, je laisse le sensible d’une musique ou d’un sentiment me troubler et je me laisse être embarquée et être dansée.

L’âge est-il un problème pour une danseuse ?

Mon âge vient complètement servir mon âme et ma danse, il me donne une autre force, peut-être plus tranquille. Ma danse devient encore plus épurée. Je trouve que cela arrive tard, mais cela arrive. Ce n’est pas du tout un handicap d’avoir soixante-et-un ans, c’est presque une chance. Il faut juste savoir dépasser ce que notre société nous impose au niveau de l’image. Il y a malheureusement des regards malveillants de certains décideurs culturels. Leurs  propos discriminatoires ne viennent que renforcer l’urgence de dénoncer des abus de pouvoir, de contribuer à transformer certaines croyances et à se battre pour la liberté d’expression. Dépasser ce paraître pour être sur scène avec une réelle plénitude, même si le matin, le miroir nous renvoie que l’on n’est plus celle que l’on a été ; c’est juste différent comme chaque saison. Le chemin d’être soi-même continue.

© Photographie : Cie Écoute s’il danse

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