Depuis l’exil

Je désire inextinguiblement la vie. Ça bout sous mes jours merdeux et mes nuits ternes, l’œil ahuri, grand ouvert, jaune et rougi, au milieu d’un front besogneux ; par peur qu’elle m’échappe. Elle n’est pas ce qu’on nous donne en naissant. On nous transmet les maux ancestraux, on nous plonge dans la merde mondaine.

On commence par la mort. La vie est à conquérir.

Trouble et idéalisme.
Chaque désastre, une usure ;
chaque usure, une leçon.

Briser la gangue noirâtre qui nous enserre. Les mots ne suffisent pas. Ils sont le signe d’une impuissance à vivre, vivre le corps et le présent. Des refuges, des prothèses. Peut-être des lâchetés. Le monde aboie autour de moi : je m’enferme et j’écris. J’écris en dehors de la vie, elle me résiste, me rejette ; je tente de la séduire. L’écriture ne séduit pas. La biologie, la psychologie, la sociologie reprennent vite leurs droits.

Je veux me dédire, je veux penser que l’écriture me changera, et le monde. Jusqu’à se sacrifier. Sa fin est de mourir, de nous céder la place. Vendre des armes, courir l’Afrique et le soleil.

D’où parlez-vous ? Jusqu’où votre voix doit-elle porter ? C’est l’exil. Il n’est pas géographique, il est existentiel. Dérouté quelque part en un certain temps pour que l’écriture devienne patrie, pour que l’écriture devienne ces fils qui espèrent recoudre. Recoudre quoi ? Mystère par lequel nous nous connaîtrons.

Fantomatiquement vécue, mon existence se dissout ; sa consistance est douteuse. Je veux un peu de réalité, l’assurance de ne pas disparaître. Je suis corrompu, j’espère autrui pour me guérir de cette maladie d’être pâle.

Mais le soleil ne peut se lever qu’en nous-mêmes,
puis irradier.
Irradier pour rien,
gratuitement,
irradier pour vivre.
Pour être.

Je regarde de loin les gens repus de sommeil, les joues roses et les yeux sains. Je ne les comprends pas. Je me sens une grande sympathie avec les noctambules aux joues creuses, aux corps fébriles, aux yeux sagaces malgré les fatigues. Quelque chose les transperce, ils ont quelque chose à traverser, et j’arrive à reconnaître leur destinée.

Il faudrait pouvoir se dire sans s’écrire.

Extrait de Des débris, des éclats paru chez Carnet d’Art Éditions.

Photographie à la Une © Livio Mosca.

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