Zig Zig

Devoir de Mémoires.

Mise en scène de Laila Soliman, avec Mona Hala, Reem Hegab, Sherin Hegazy, Zainab Magdy, Nancy Mounir. Première présentation en France dans le cadre du Festival d’Automne au Nouveau Théâtre de Montreuil.

Il est des applaudissements comme des déchirures, des hourras qui devraient se dire dans le silence et l’obscurité, la retenue du deuil plutôt que le clapotis des paumes. Zig Zig fait naitre de ces reconnaissances muettes tant le sujet pèse. Et pourtant la performance, elle, mérite que les bras se meuvent et qu’un joyeux tonnerre achève une heure et demie de douleurs ressuscitées.

« Zig Zig », c’est le mot dérisoire qui camoufle l’horreur, le trait burlesque, exotique, qui assassine la parole de ces égyptiennes venues plaider leur cause devant des juges britanniques. Mais je m’avance.

Zig Zig, le spectacle, c’est la reconstitution d’un procès ; 1919, la première guerre mondiale est passée, l’Égypte colonisée par les soldats de sa majesté a participé à l’effort de guerre et les égyptiens commencent à rêver d’indépendance. La révolution se fait sentir, accompagnée d’une violente répression. Dans le chaos naissant, plusieurs femmes d’un village rural font entendre leurs voix et accusent les soldats britanniques de pillages, meurtres, incendies volontaires et viols. Près d’un siècle plus tard, alors qu’une nouvelle révolution agite le pays, une troupe s’empare de ce récit, retrouve des documents officiels, et insuffle une vie nouvelle à ces destins tragiques, lointains mais dont les résonnances assourdissent encore.

Zig Zig © Ruud Gielens.

Sur scène, cinq femmes s’avancent, s’asseyent à de petits pupitres, à côté d’un écran sur lequel seront projetées quelques « pièces à conviction ». L’une d’elle tient un violon. Noir. Musique. Se succèdent des litanies de noms – les victimes auditionnées pendant le procès – des mélopées mélancoliques, des explications lapidaires, qui viennent entrecouper témoignages et instructions pour permettre aux spectateurs de respirer un instant, de reprendre un temps le souffle qui finit par manquer lorsque les mots durs pleuvent avec un rythme soutenu sur eux comme sur les paysannes acculées par la défense britannique, défendues gauchement par le pouvoir égyptien, sommées de vivre, encore et encore, par le verbe, le traumatisme dont elles espéraient, peut-être, pouvoir se libérer un peu.

Petit à petit c’est une critique du roman national qui s’établit à demi-mot, doublé vivement d’une plongée dans l’enfer des poursuites pour viol qui voudraient nous faire croire que les victimes sont les coupables et les coupables des innocents. L’écrire révulse, tant l’opération semble évidemment condamnable mais, et c’est l’atrocité comme l’exploit de cette pièce, le procès en acte incidemment convainc, et laisse sur la langue un goût amer à mesure que s’installe un doute répugnant, irréversible.

Au bout du compte, c’est une page d’histoire qui renait sous nos yeux ; un spectacle documentaire qui fait l’économie du sang, du feu sur le plateau, pour ne les jeter qu’en mots, vissés dans les crânes, arrachés aux victimes par de barbares traducteurs, mais vivaces encore, dans les bouches et les corps de ces comédiennes qui dénouent avec subtilité les fils d’un récit dont les voix se sont tues. Et dans le noir final, ce doute et ce tiraillement, ces noms qui résonnent sur un trait de violon comme des revenants qui retournent à l’air, ce silence un peu long… ces applaudissements.

Photographie à la Une © Ruud Gielens.

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