Poétiquement létal.
Dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la 71ème édition du Festival d’Avignon s’ouvre par Antigone de Satoshi Miyagi. En 2014, le talentueux metteur en scène japonais avait sublimé la carrière de Boulbon en recréant un Mahabharata dont les images ont marqué les spectateurs à l’endroit de leur mémoire.
Lieu phare et emblématique du festival, la Cour d’honneur se réinvente d’années en années, à chacun d’imaginer de quelle manière le propos présenté va investir une place où toutes les audaces semblent être possibles. Pour son Antigone, Satoshi Miyagi a recouvert le plateau d’une pellicule d’eau créant ainsi une métaphore du Styx, un des fleuves des Enfers dans la mythologie grecque, et étant également envisagée aussi bien comme un miroir de l’âme humaine qu’une zone de conflit intérieure et extérieure. Cette étendue d’eau est également en contraste avec le côté minéral du mur de la Cour et des quelques rochers qui deviendront, par la suite, espaces de jeu et lieux dramaturgiques.
De la gestuelle de la parole.
Comme pour une révision classique commune, quelques-uns des interprètes proposent au public un résumé de la tragédie de Sophocle en faisant appel aux principaux protagonistes que sont Antigone, Ismène, Étéocle, Polynice ou encore Créon. On touche ici à un registre plutôt léger voire comique qui s’avérera être en opposition avec la suite de la mise en scène où un calme et une forme de poésie s’installent progressivement. En effet, malgré la violence et la dureté du propos cette pièce, l’interprétation qui en est faite est presque lissée vis-à-vis des sentiments.
Satoshi Miyagi prend le parti de dupliquer les principaux rôles. Le texte est posé en voix par un des interprètes tandis qu’il est joué corporellement par un autre. Cette combinaison se révèle intéressante dans le sens où la gestuelle met en exergue la parole. Ceci est renforcé par un jeu d’ombres chinoises projeté sur le mur de la Cour. Sur celui-ci, tout devient imaginable par la qualité de ce qui est travaillé. Un Créon prenant la parole peut, par exemple, renvoyer à des images quasi-inconscientes d’un Richard III ou d’un roi Lear.
L’évolution de ces êtres, vêtus de blanc, dont on ne sait s’ils sont du monde du vivant ou de celui des morts, s’ils sont bons ou mauvais, reflètent une forme de poésie létale qui nous pousse à nous interroger sur notre propre place de femmes et d’hommes dans notre société contemporaine.
Antigone, aujourd’hui.
Pourquoi faire le choix de mettre en scène ce texte que l’on peut qualifier de classique aujourd’hui ? La question est régulièrement soulevée et les réponses sont bien évidemment multiples. Antigone, femme prise dans une société patriarcale ne pense pas faire à mal lorsqu’elle veut enterrer un de ses frères en allant à l’encontre des diktats institutionnels de son temps.
L’appropriation que fait Satoshi Miyagi de ce qui a valeur de mythe renvoie le spectateur à l’endroit de sa propre condition. Est-ce que je serais du côté des bons ou des méchants ? Est-ce que je serais de ceux qui sont en mesure de s’engager ou est-ce que je ferais partie de ceux qui regardent le monde se déliter sous mes yeux sans rien faire ?
À ces questions, les réponses ne sont pas données, chacun peut repartir avec son propre bagage. Le metteur en scène transmet presque simplement des clés poussant les gens dans de certains retranchements où chacun prend ce qu’il a à prendre et en fait ce qu’il veut par la suite. Ce qui a marqué ce soir-là serait de l’ordre d’une communion collective quand le silence se fait lors de la « ronde finale » tout en lenteur et répétitive des interprètes. Les éléments naturels presque invoqués pour l’occasion, notamment quand la lune s’élève juste au-dessus du mur de la Cour, donnent à cette représentation un aspect de l’ordre du mystique.
Avec une mise en scène à l’esthétique totalement assumée et convoquant les arts de la culture japonaise, Satoshi Miyagi donne une matière à réflexion dont le monde a besoin.
Photographie à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Debra
« Femme prise dans une société patriarcale… Antigone ne pense pas faire le mal… en allant à l’encontre des diktats institutionnels de son temps ».
Antigone ne va pas à l’encontre des diktats institutionnels de son temps. Creon manque de respect à l’égard des dieux, et son pouvoir n’est pas légitime. La pièce ne dit rien sur un pouvoir « patriarcale ». Elle parle d’étendre le pouvoir public humain à des endroits où il n’a pas cours. Créon est puni pour avoir usurpé un pouvoir qui n’est pas le sien. Terriblement puni, d’ailleurs, par l’intermédiaire d’Antigone, qui est l’instrument aiguisé de sa punition.
Grande nuance.
La représentation a l’air belle et digne. Cela fait envie…