l’œuvre intemporelle.
Cher Arnaud,
Ce ne sera pas long. Je me pose une question. En pleine répétition pour une prochaine création, je fais appel aux plus grands. Antonin Artaud, qui crache une criante vérité sur une société, naissant presque un siècle plus tard. Orson Welles, avec son Citizen Kane, qui dépeint l’embourbement de l’homme dans une société qu’il a soi-disant construit à sa mesure. Van Gogh qui jette le reflet du relief de notre perdition d’homme… Pourquoi des œuvres deviennent immuables, chefs-d’œuvre, et d’autres pas ? Comment ces hommes atteignent-ils une telle vérité ?
A/
Cher Antoine,
Je ne peux pas m’empêcher de penser à Edmond Huot de Goncourt, et l’insolente lucidité avec laquelle il lâcha ce désormais célèbre adage, « Un livre n’est pas un chef-d’œuvre, il le devient ». Ces quelques mots sont peut-être la clé de cette immortalité des œuvres d’art, qui, par une beauté intrinsèque, s’échappent de l’actuel et du contemporain pour transcender le flux du temps, s’extraire du courant des modes et des époques et devenir l’incontournable d’une civilisation, le classique d’un monde, l’un de ces phares de l’humanité. Mais pourquoi, oui pourquoi, Corbière, illustre en son temps, sombre-t-il aujourd’hui dans l’oubli alors que Van Gogh, anonyme disparu dans l’indifférence générale, soulève-t-il nos poitrines depuis qu’Artaud l’a consacré sur l’autel des maîtres ? Peut-être est-ce ainsi que nous devrions poser la question : un chef-d’œuvre n’est-il pas celui qui se rebiffe devant l’actuel, qui nie son temps pour aspirer à un hors-temps qui nierait le caractère fini de toute œuvre humaine ?
AI
Arnaud,
J’ai trouvé ! Regarde Theorem, de Pasolini ! Là est la clé. L’artiste a le pouvoir d’exposer son intime le plus profond au monde entier, à travers l’outil dont il connaît la technique… à travers l’art qu’il a choisi. Cette intimité est tellement vraie, tellement juste pour lui, que ça en devient universel, ainsi, l’infiniment petit nous amène naturellement à l’infiniment grand, au fond, c’est la même chose, tout ça reste l’infini.
A/