L’ondoiement des rêves.
Les contours incertains et brumeux des peintures de l’artiste Barbara Navi ne sont que le reflet du monde incertain et anxiogène qu’est le nôtre. Le réel semble lointain et pixellisé tandis que les songes deviennent palpables, suspendus dans l’air mais surtout dans le temps. L’inquiétude et l’incertitude sont les maitres mots devant ces tableaux à l’atmosphère pesante d’une certaine étrangeté familière. Des menaces indistinctes surplombent ces tableaux diurnes, oppressants tels des rêves annonciateurs d’une catastrophe.
Dans les camaïeux de bleus, de verts et de tons ténébreux virevolte un mystère indicible qui danse avec des rêves invraisemblables. La réalité laisse place au mirage. Dans la toile s’ouvre un espace confus entre réel et fiction, il y a là l’apparence d’un monde possible. Mais ce n’est que simulacre. Les peintures ne sont pas la retranscription d’une certaine réalité mais d’images mentales créées par Barbara Navi après la vision de milliers d’images. Sa main, presque inconsciemment mais compulsivement, reproduit en vitesse ces images mentales sélectionnées. Paradoxalement c’est le rêve qui fait basculer du côté du vraisemblable car c’est à travers lui que l’on vit le plus naturellement des évènements totalement incongrus et irréalisables. Peindre un équivalent visuel de ce basculement entre rêve et réalité, entre insolite et vraisemblable, voilà ce que l’artiste cherche à faire. Des entrecroisements d’échelle, des situations irréelles et des décalages surgissent sous le pinceau de l’artiste. L’image est émiettée, décomposée, pixellisée, pour retranscrire la dimension onirique qui surplombe sa peinture. Tout semble suspendu et tremblant par la touche picturale, par le style qui lui est propre. Une eau trouble brouille notre vision, la mise au point ne se fait pas. Les personnages de près paraissent esquissés mais de loin semblent avoir été photographiés. Ils émergent d’un monde déformé tels des fantômes invulnérables.
Barbara Navi peint ce qu’elle éprouve et non ce qu’elle imagine. Elle représente son intériorité, ce qui est en dehors d’elle et devient, ainsi, elle. Ses modèles duveteux paraissent exister sans contours définis, ils flottent et ondoient au rythme de ce filtre déformateur qu’est sa touche picturale. Elle « cherche à dessiner le vide entre les formes. Par exemple, pour peindre les deux personnages qui sont devant [elle], [elle] prends [ses] repères à partir de l’espace immatériel qui entoure leur corps. Pour [elle] le corps est inatteignable, cela rejoint la façon de concevoir le désir. » De ses toiles émanent les secrets, les non-dits, l’errance et la perte de soi mais aussi la solitude, la folie et l’instabilité des choses. On s’engouffre dans ces tourments, dans une spirale sans fin qui nous emporte dans la confusion d’un monde déroutant et angoissant, d’un proche pourtant lointain mais surtout de rêves avant-coureurs d’une catastrophe.
Image à la Une : L’idole de Barbara Navi.