Ce que nous appelons démocratie

Jean Paul Curnier revient à Bonlieu scène Nationale ce mercredi 16 décembre pour poursuivre son cycle de conférences développant un regard acéré sur la démocratie.
Plus que jamais d’actualité suite aux événements de Paris du 13 novembre 2015 et aux résultats des élections régionales. En effet, la question n’a jamais autant fait la une de l’actualité. Pour ces deux raisons qui n’ont à priori aucun rapport.

Tout d’abord le Front National.

« Le peuple se voit petit à petit confier au FN ce qui reste de politique dans notre démocratie. Nous assistons là à la mort même de la politique en France en associant la classe politique au mal. Nous débarrassons les oligarchies contemporaines de leur promesse d’agir sur le destin, ne leur laissant pas l’organisation de l’économie ou la répartition des richesses mais seulement la possibilité d’action d’un petit curseur pouvant décider de quel moindre mal le peuple peut être assurée. Le pouvoir n’a, dans cette planète mondialisée, qu’une faible marge de manœuvre. Nous vivons dans un état qui protège vaguement les dégâts infligés au peuple.

Nous avons assisté dimanche à un sursaut de vie avant la mort des appareils politiques. Il faut penser que des gens de gauche ont voté Christian Estrosi en PACA pour ne pas laisser passer le FN. Il y a eu transfert de voix et c’est bien là l’effondrement de la politique française. Contrairement aux partis traditionnels, le FN n’a que très peu de marge, il y a à peu près le même nombre d’électeurs au premier qu’au second tour, s’il n’est pas élu au premier tour il ne sera jamais élu. C’est pour ça que l’appareil français ne lui est pas compatible. Le front républicain auquel nous avons assisté est complètement autiste puisque par nature il existe pour contrer la prise de pouvoir démocratique par des personnes non républicaines. Autrement dit, si nous considérons le FN comme non républicain, il faut l’interdire, sinon, il est autorisé à se présenter comme les autres et ne doit donc pas être stigmatisé. Le jeu de la gauche à ces élections, à savoir retirer ses candidats est très dangereux pour l’avenir et porteur d’une agressivité nouvelle. Lorsqu’on scrute réellement les opérations qui ont permis de cantonner le FN où il est, nous pouvons nous rendre compte que la France se profile dans un état de guerre civile. Les électeurs du FN qui rejettent la classe politique actuelle ne peuvent que se sentir stigmatisés, exclus et détestés. Nous plaçons de facto 40% des votants hors de la collectivité et les obligeons à se radicaliser comme ennemis. Le seul moyen d’éviter la guerre civile serait sans doute des les laisser arriver au pouvoir pour qu’ils s’autodétruisent. Ils n’y resteraient pas longtemps parce que la désillusion serait très rapide. Notre système est fait de telle sorte qu’ils ne pourraient pas avancer avec les députés européens, les communes, les régions voire même l’assemblée et seraient donc paralysés. C’est pour cela qu’il faut être certain que la dictature en France est proprement impossible à installer. »

De la révolution à la démocratie.

« Nous ne pourrions atteindre la véritable démocratie qu’en en passant par une révolution ou une guerre civile. Lorsque l’on se penche sur ce qu’est purement et simplement la démocratie dans notre idéologie la plus parfaite, nous nous rendons vite compte que nous ne l’avons jamais connue. Le peuple gouverné par le peuple. À ce titre nous pouvons penser que les oligarques contemporains sont démocratiques entre eux mais pas avec le peuple. En France, de par notre passé, nous avons le fantasme des pleins pouvoirs. Nous sommes très proches de l’oligarchie comme on peut l’entendre mais sans les deux éléments qui la constitue, la richesse et le sexe. Cela explique le comportement de nos dirigeants. Il faut bien se dire aussi que cette réaction est complètement humaine et qu’un homme du peuple pris pour représenter le peuple devient tout de suite oligarque et en prend tout de suite l’attitude. On voit alors que le problème de la démocratie n’est pas que c’est un mauvais régime, mais que la démocratie telle qu’on l’entend aujourd’hui n’est pas démocratique. Elle ne peut pas exister, elle est idéologie. Entendons bien évidemment qu’aujourd’hui le peuple est gouverné par une oligarchie et que même la démocratie athénienne n’était en réalité tenue que par 9% de la population, c’est-à-dire les personnes les plus riches. Ce rêve de la démocratie grecque est le romantisme de la ruine qui nous porte à penser que le peuple gouvernait. Aller vers l’essence de la démocratie voudrait dire se diriger vers un séparatisme, régime de gens qui se séparent pour s’organiser et se répartir richesse et pouvoir équitablement entre eux mais pas du tout avec les autres. Il y a dans la démocratie une idée de fraternité. Ce que nous ne vivons évidemment pas aujourd’hui. La démocratie ne peut naître que de l’idéologie d’une rupture forte, d’une révolution par exemple. Il faudrait refonder une civilisation de toute pièce avec l’image de quelque chose de fort, de puissant… Tous les éléments fondateurs d’une civilisation. Ce n’est pas si simple. Aujourd’hui nous sommes très loin d’un élan fondateur démocratique. »

L’état d’urgence dans la mondialisation.

« L’état d’urgence est la preuve de la mort même de l’idéologie de démocratie, en même temps, cela ne pouvait pas se passer autrement. S’il y avait une vraie démocratie, il y aura des gens qui choisissent quoi faire de leur vie, et non pas certains qui imposent à d’autres quoi faire. Il faudrait arriver à s’approprier l’espace de vie privée pour arriver à l’appropriation du commun ensuite. Au final, le peuple a toujours été un élément qu’il faut façonner, éduquer, il faut en faire ce qu’il doit être. C’est pour cela que l’on considère que lorsqu’il vote FN, nous considérons qu’il n’est pas à la hauteur de lui-même. Prenons l’exemple de cet état d’urgence. Suite aux attentats, nous avons installé le deuil national, il fallait se recueillir, pleurer, ensemble mais pas en masse pour ne pas créer de mouvement de foule, continuer à boire en terrasse, etc. On nous a dit que c’était nous le peuple visé. Que c’était nous Paris. Que nous aurions pu être à cette terrasse ou à ce concert. On nous a laissé pleurer quelques jours, être le peuple quelques heures et ensuite est arrivée la COP21. Le peuple, en bonne logique de continuité de la semaine, s’est pris pour le peuple et à manifester pour sauver sa planète. Évidemment l’État a très vite stoppé tout ça, c’est terminé, l’État s’occupe de nous. On voit alors des images effroyables de citoyens se servant des fleurs et bougies des commémorations comme projectiles contre l’État. Le peuple est alors réservé à la consommation. Continuer à aller aux concerts, continuer à boire en terrasse. La consommation, dans ce capitalisme mondialisé, serait pour le peuple la seule manière de résister. Nous assistons donc à l’impossible démocratie dans la mondialisation. Mondialisation qui est un phénomène de fuite en avant de la démocratie. Il faudra attendre la banalisation de la vie à l’échelle mondiale pour que des peuples nouveaux se constituent. C’est d’ailleurs ce que Daesh est en train de faire. Ils réunissent des personnes du monde entier, au nom d’un refus du monde actuel, avec une idéologie très forte, prenant ses racines où elle peut. En réalité on peut penser que Daesh est très en avance sur son temps. Nous nous devons donc, nous vieux pays du monde, de sprinter un peu et de réinventer très rapidement une démocratie qui tient le choc du futur dans l’interdiction de citer Robespierre ou je ne sais quelle autre figure historique. Une radicale nouvelle démocratie pour éviter les montées extrémistes haineuses et les guerres civiles partout en Europe et dans le monde. »

Propos recueillis par Antoine Guillot le mardi 15 décembre 2015.

Conférence à (re)voir en VOD.

 

Conférence Jean-Paul Curnier : Ce que nous appelons démocratie (La démocratie a-t-elle existé un jour ?) from BonlieuSnAnnecy on Vimeo.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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