Arlette à Malibu.
Erika Lust, Five Hot Stories for Her – voir site « XCONFESSIONS ».
La Suédoise Erika Lust ne cesse de s’opposer à l’industrie pornographique qui engrange ses profits profit en donnant une représentation dégradante du sexe. Sa stratégie est particulière : elle se bat dans le champ même du genre en prouvant qu’il existe une possibilité de la changer en proposant un nouveau type de libération : celui des femmes au sein d’un combat qui n’est pas seulement lesbien.
La réalisatrice pousse le porno vers l’expérimental pour amplifier la topographie du genre en profitant de la diffusion sur Internet et en faisant du « crowdsourcinq » sur des fantaisies sexuelles faites pour les femmes. À côté de son travail de création sur son site « XCONFESSIONS », elle produit des courts-métrages où les femmes sont non seulement actrices principales mais metteuses en scène. L’objectif est de présenter au sein du genre déclassé ce qu’elle nomme des « films sexuels positifs ». Les jeunes addicts au porno sur Internet découvrent une lumière différente, réaliste mais agréable : le corps n’est plus exposé comme de la viande sur un canapé douteux et enveloppé sous des bas résilles du même tabac.
Les femmes racontent enfin leurs propres histoires, rêves et sensations, elles montrent ce que la sexualité représente pour celles qui constituent la moitié de la population terrestre. Les courts-métrages d’Erika Lust sont novateurs et toxiques, leurs palettes sucrées et leur monde fantastique sensuellement stimulants et transgressifs : il s’agit de montrer une expérience hédoniste consensuelle. Elle renverse les standards d’un genre auquel la réaliste offre un contrepoison en soignant le mal par le mal et le mâle par celle qu’il ne domine pas.
Debra
Il n’est pas dans mes habitudes de commenter sans m’être documentée pour pouvoir juger à partir de ma propre expérience ce qui m’est proposé, mais j’ai vu quelques images sur ce site, et ne voulais pas aller plus loin.
Que ces images soient faites par une femme ou par un homme, qu’elles montrent des femmes ou des hommes, des fantasmes de femmes ou pas, il s’agit néanmoins d’une esthétique réaliste, et cela fait barrage à une transformation poétique.
Le fait de filmer/photographier des acteurs en train de… faire l’amour (oui, on peut l’appeler encore comme ça, on n’a pas besoin de l’appeler… « rapport sexuel » ou « acte sexuel », et on pourrait s’interroger sur ce que cela dit sur nous de l’appeler ainsi…) pour MONTRER à un public constitue l’essence de la pornographie, à mon avis, qu’il y ait réelle passage à l’acte ou pas. Cela peut donc avoir lieu même dans un film qui ne se dit pas « pornographique ».
Il fut un temps dans le cinéma où on montrait certaines choses, et on en cachait d’autres. Ce jeu de présence/absence favorisait le désir (de l’homme, et de la femme). Il favorisait aussi la séparation public/privé/intime dans les têtes, et… le corps social, du moins, à besoin que cette séparation ait cours chez les membres d’une société.
TOUT montrer… tend à produire l’effet d’un gros pudding avalé après la dinde à Noël.
Ce n’est pas digeste, que ce soit fait par un homme pour d’autres hommes ou par une femme pour des femmes.
Je ne cesse de m’étonner que.. les femmes qui se souhaitent les plus libérées continuent à étalonner leur réussite, leur pouvoir sur la performance et les comportements des hommes.
C’est la libération, ça, ou… une aliénation supplémentaire ? Faut-il obligatoirement faire ce que font les hommes pour échapper à… l’illusoire… « domination du mâle » ? (C’est fou combien la « domination du mâle » domine.. dans la tête des femmes au point d’obscurcir d’autres explications possibles pour rendre compte de pourquoi le monde est comme il est. Fou, et triste.)
En tout cas, ça témoigne, tout comme la pornographie, d’une triste absence d’imagination, de créativité (chez ceux/celles qui la fabriquent ET ceux/celles qui y recourent…), et favorise la simplification et la banalisation de nos affects, et de nos expériences.
Qui plus est, à une époque où on nous gargarise de l’autonomie du matin au soir, cela contribue à nous rendre… dépendants des productions/images d’autrui afin de titiller notre propre (forcément petit…) désir et ça, c’est un comble.
Madame Lust (!!) raconte, et SE raconte des histoires. Elle ne s’oppose pas à l’industrie pornographique ; ELLE fait de la pornographie. Et ce n’est pas parce qu’elle est une femme qu’elle est une exception à la règle. Ce serait.. trop simple.
Ryba
Lust ne dit pas qu’elle ne fait pas de pornographie. D’ailleurs elle a aussi fait des court-métrages « érotiques » (au sens M6 de : ne montrant pas les organes sexuels…). L’effet des images pornographiques varie selon les spectateurs, même si c’est difficile à admettre, tant nous tendons spontanément à universaliser la valeur de nos jugements de goût. On peut éventuellement s’interroger sur le bien-fondé d’une interdiction légale du genre (qui n’éliminerait pas le phénomène davantage que l’interdiction de la prostitution, et serait aussi impuissante en acte que l’interdiction du téléchargement illégal de contenus pour des raisons de droit d’auteur). Comme pour la prostitution, reste alors la question du modèle économique, de la rétribution et des conditions de travail des acteur-rice-s. Et la question, dont elle se sert dans son argumentaire, de l’imaginaire sexuel qui est produit par les films. La diversification, non pas seulement des fantasmes, mais des façons de filmer, de montrer les rapports entre personnages, ne peut pas faire de mal, même s’il est clair qu’il y a une différence de nature entre un contenu fantasmatique emballé prêt à l’emploi, et une matière fantasmatique que chacun travaille. Je ne pense pas qu’on puisse réduire cette opposition à une opposition simpliste entre « érotisme » et « pornographie », en tout cas pas définis par l’opposition entre « montrer » et « suggérer ». Lust a recréé de façon très maligne un marché payant dans un domaine où n’importe qui peut depuis vingt ans se procurer facilement des images gratuites. A mon sens, s’il y a un point sur lequel mérite de porter l’enquête, c’est bien celui des conditions de tournage, et de la rémunération des différents acteur-rice-s. Pour le reste, effectivement, c’est judicieux de jeter un oeil avant de lancer l’anathème.