Eve Poinsard & Serge Héliès

En coulisses avec Eve Poinsard & Serge Héliès, respectivement Programmatrice culturelle à la ville de La Motte-Servolex et médiatrice de La Conciergerie & Serge Héliès Directeur artistique de La Conciergerie.

Nous vous invitons à plonger dans les coulisses de La Conciergerie et de la programmation culturelle de la Motte-Servolex en compagnie de Eve Poinsard & Serge Héliès.
Rencontre.

Eve Poinsard, Serge Héliès, bonjour, pour commencer cette rencontre, pouvons-nous tout d’abord faire une brève présentation de La Conciergerie : quelle est son histoire, quelles sont ses principales orientations ?

Serge Héliès : Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’objectif de La Conciergerie est d’être une salle où l’on présente de l’art contemporain dans une notion de proximité. Nous ne sommes pas un centre d’art national. Nous présentons des artistes internationaux mais aussi des artistes émergents avec une qualité et une exigence qui sont dignes d’autres espaces.

Eve Poinsard : La ligne de conduite est d’être un espace d’art contemporain dédié à la jeune création d’une part, et d’autre part, en se maillant avec les FRAC et CNAP, on a accès à des artistes de notoriété. On porte également un regard envers la création sur les nouvelles images numériques et les technologies interactives.

Serge Héliès a une capacité à anticiper les courants. Les artistes d’art contemporain vont s’emparer de questions qui commencent à palpiter dans la société ; Serge Héliès a un temps d’avance. Par exemple, avant qu’on ne parle de spams et de bugs en informatique, il y avait déjà eu une expo avec des artistes qui se servaient de toutes ces poubelles informatiques pour les détourner et en faire des œuvres.

Comment procédez-vous dans le choix des artistes présentés (ils viennent à vous, vous allez les chercher) ?

Serge Héliès : Nous allons chercher les artistes mais on reçoit aussi des demandes : des contacts issus d’une mise en réseau, le fruit de mes rencontres, de mes trouvailles. Il y a aussi une part d’aléatoire. Nous voulons montrer que l’art contemporain « ne mord pas » et qu’il y a des artistes vivants aux productions très diverses. Au fil des années, l’idée est d’avoir sans cesse des choses renouvelées, différentes et qui parlent surtout du vivant, du fait de vivre dans le même monde, la même société.

Depuis 2-3 ans, nous avons évolué, nous nous sommes mis de manière plus systématique à faire des résidences. J’ai pris conscience que cette salle n’était pas faite au départ pour des expos et chaque fois que je le pouvais je laissais les artistes s’exprimer avec l’espace. Là, c’est devenu une marque de fabrique ; dès qu’un artiste a envie de s’emparer de l’espace, il utilise et s’approprie toute la surface. L’artiste plonge le spectateur dans une atmosphère ; la scénographie est devenue très importante avec des œuvres créées spécialement pour l’espace, ou remises en espace.

Si l’on déroule les expositions de la saison 18.19 à La Conciergerie, vous allez accueillir les travaux de Matthieu Boucherit, France Cadet et Cédric Jolivet, pouvez-vous nous présenter leurs démarches et ce que le public pourra découvrir ?

Eve Poinsard : Matthieu Boucherit exposera du 09.11.18 au 22.12.18. Il a déjà une belle reconnaissance dans le milieu artistique. Il va travailler sur toutes ces images et toutes ces informations qui nous parviennent ; comment on peut récupérer notre propre expérience du monde en disant un véritable « je » sans que ce soit quelque chose qui nous soit imposé de manière insidieuse. Il veut nous alerter sur le fait de « reprendre nos cerveaux ».

France Cadet exposera du 11.01.19 au 09.03.19. C’est une chercheuse et artiste qui travaille sur l’intelligence artificielle. On parle de robots et d’aliens depuis très longtemps. Aujourd’hui avec ce dont dispose la recherche et les sciences, tout avance très vite. Dès l’instant où un artiste d’empare d’un phénomène de société, je trouve cela rassurant. Je trouve bizarre qu’on perde autant confiance en l’homme en pensant que les robots vont nous dépasser ; nous avons tout pour être encore plus intelligent. Dès l’instant où les gens se rassemblent et sont en paix, ils arrivent à faire des choses merveilleuses. Je me réjouis de voir France Cadet attraper de plein corps cette thématique de l’intelligence artificielle.

Cédric Jolivet exposera du 17.05.19 au 29.06.19. Il arrive un peu comme une conclusion puisqu’il va être le pont entre de grosses thématiques qui sont à la fois le numérique, l’intelligence artificielle et la nature – la nature vibre, on peut l’entendre mais nos oreilles n’y arrivent pas, le numérique va pouvoir recueillir et « dire » toutes ses vibrations. Je trouve qu’il est lourd de sens que de rapprocher ces deux mondes qui nous entourent. On a tendance à vouloir mettre en opposition nature contre science, mais Cédric Jolivet envisage les deux ensembles.

Tous ces artistes posent des questions sans donner de réponses. Il y a juste à activer la personne que nous sommes avec notre cœur, nos valeurs. Il n’est pas utile d’avoir une culture « fondamentale » ou « énorme » car beaucoup de personnes ont tendance à dire que l’art contemporain n’est pas fait pour eux… Nous sommes tous des contemporains et avec l’art d’aujourd’hui, on a parfaitement le droit de se sentir en résonnance avec un artiste. Il faut laisser les gens ressentir, les laisser se confronter à leurs propres sensations, sentiments.

Que se passe-t-il en marge de ces expositions, quelle place est donnée à la médiation avec les publics (visites commentées, conférences, etc.) ?

Eve Poinsard :La médiation tient une place très importante à La Conciergerie ; elle est essentielle. Des enfants de tout âge comme des adultes peuvent venir voir les expositions. Il y a plein de façon de voir les choses et l’art permet de se connecter à des valeurs communes qui sont des valeurs justes.

Pouvons-nous maintenant aborder la saison culturelle de La Motte-Servolex ?

Eve Poinsard :La programmation de la saison culturelle de La Motte-Servolex se nomme « Un courant d’air libre » qui pourrait se traduire par la liberté, l’aération, respirer, se poser, arrêter le bruit des machines à laver dans nos têtes – parfois parce qu’on est pris dans les exigences de la vie de tous les jours – et il y a une autre partie de nous qui s’évade, qui a besoin de se reconnecter à sa vraie nature pour pouvoir aborder le quotidien. Si nous avons notre petit courant d’air qui vient, on peut être plus créatif, ce qui nous paraissait difficile peut devenir plus accessible car toutes les ressources sont en nous.

Des travaux ont été faits dans la salle de spectacle Saint-Jean, pouvez-vous nous en parler ?

Eve Poinsard :En janvier 2019, nous rentrons dans une salle de spectacles rénovée. La salle Saint-Jean est très emblématique à La Motte-Servolex car elle a été construite dans les années 30 par des bénévoles. Elle était destinée à faire du cinéma mais les exigences liées au cinéma ne sont pas les mêmes que celles liée au spectacle vivant. La salle a donc été grandement repensée.

Nous avons donc contacté des artistes qui nous ont accompagnés tout au long des années passées ; ce sont eux que nous réinvitons pour qu’ils profitent des nouveaux aménagements de la salle.

Question « piège » mais quels seraient vos incontournables ?

Eve Poinsard :Nous allons accueillir Le cabaret des illusionnistes, sept jeunes magiciens qui sont venus pour la première fois à La Motte-Servolex il y a une quinzaine d’années. Par tradition la magie c’est du cabaret mais eux ont mené la magie au rang de spectacle.

On est toujours fidèle à la danse contemporaine et à l’expression profonde du corps. On a invité la Compagnie Stylistik. Abdou N’Gom s’exprime par sa danse qu’est le hip-hop. C’est un spectacle de haut vol, un spectacle d’athlète. Sa danse pose la question de comment être loyal et de quelle manière rester entier. La société nous demande sans cesse de nous définir. Comment faire alors pour retrouver notre propre moteur sans être écrasé par ce qui nous est imposé ?

Il y aura aussi Manu Galure, un auteur compositeur interprète. Il part de Toulouse jusqu’en Bretagne, il marche et le soir il s’arrête pour jouer sa musique là où on l’accueil. C’est quelqu’un qui a un autre rapport aux gens et un autre rapport à la vie. Ses chansons sont de la couleur de toutes les expériences qu’il a rencontré en chemin. C’est une autre façon de créer et d’être au plus près de la vie et des gens. Cette initiative est formidable car elle nous dit de ralentir le rythme et de prendre le temps de regarder qui il y a autour de nous.

Tous les artistes programmés sont des personnes généreuses en phase avec notre siècle et qui ont quelque chose à dire. À La Motte-Servolex, on travaille aussi beaucoup autour des cultures du monde, tout s’imbrique, on est issus de partout.

Pour conclure cet entretien, un questionnaire de Proust (au raccourci). Serge Héliès.
  • Votre principal trait de caractère ?

Curieux.

  • La qualité que vous préférez chez les autres ?

La curiosité.

  • Votre principale qualité ?

Je suis tenace. Nous sommes un des seuls lieux en Savoie qui présente une programmation régulière depuis autant d’années en ayant toujours été soutenus par la mairie de la Motte-Servolex. Il faut donc que je sois persévérant et que d’autres s’engagent autour du projet que nous portons.

  • Votre rêve de bonheur ?

Un fauteuil face à la mer avec le bruit des vagues.

  • Quel serait votre plus grand malheur ?

Mourir.

  • Le pays où vous aimeriez vivre ?

Ce n’est pas un pays : ce serait au bord de la mer.

  • Vos auteurs et/ou auteures favoris ?

Romain Gary.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la fiction ?

Jean Valjean.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la vie réelle ?

Pasolini.

  • La faute qui vous inspire le plus d’indulgence ?

Toutes… qu’est-ce qu’une faute après tout ?

  • Votre devise ?

« Deviens ce que tu es » et celle que j’appliquerai à La Conciergerie serait une citation de Robert Filiou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».

Pour conclure cet entretien, un questionnaire de Proust (au raccourci). Eve Poinsard.
  • Votre principal trait de caractère ?

Ça ira mieux demain.

  • La qualité que vous préférez chez les autres ?

C’est plutôt une attitude face à la vie : sourire.

  • Votre rêve de bonheur ?

Je n’ai jamais été autant heureuse, par exemple, que quand il y a de la tempête ou de la neige, que tout est bloqué. Je trouve cela formidable car tout le monde s’entraide, tout le monde est sympa. En fait, mon rêve de bonheur est de me sentir en lien avec les autres.

  • Quel serait votre plus grand malheur ?

Quand je vois un enfant qui pleure.

  • Le pays où vous aimeriez vivre ?

Je suis bien où je suis.

  • Vos auteurs et/ou auteures favoris ?

Je suis fan de Gabriel García Márquez et de Christian Bobin qui, lui prioritairement aime les gens.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la fiction ?

Paradoxalement, je meurs de rire Carmen Cru : une héroïne de BD, une horrible vieille bonne femme qui rouspète tout le temps, atrocement méchante mais qui renvoie finalement à une grande acuité sur les dysfonctionnements. Il y aussi Gaston Lagaffe qui a pour moi une intelligence supérieure car il ne rentre pas dans les cadres ; il propose de faire un pas de côté.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la vie réelle ?

Les mères de famille.

  • La faute qui vous inspire le plus d’indulgence ?

Se tromper.

  • Votre devise ?

Pas de panique.

Image à la Une © Ville de La Motte-Servolex.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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