Avant d’écouter la vedette, on est allé faire un tour au Pub Rickard’s où on a pu découvrir Safia Nolin et Louis-Philippe Gingras, deux artistes du cru. La première n’a pas encore sorti d’album (mais ça s’en vient) mais elle compte déjà parmi les artistes les plus prometteurs de sa génération. Ses chansons mélancoliques, accompagnées sobrement aux guitares folk et électrique, résument magnifiquement la froideur de l’hiver, les grandes étendues et la solitude. De la folk pure par une personne attachante, que vous pouvez écouter ici et suivre ici.
Louis-Philippe Gingras, quant à lui, a déjà un album ainsi que dix années en tant que jazzman à son actif. Son projet solo est sans doute plus à l’image du bonhomme, de la country grosse et grasse et des textes colorés servis par un accent d’Abitibien à couper au couteau (sale). Sur scène, il empoigne sa guitare électrique avec l’aisance des grands, balance son corps en cadence et nous fait passer un authentique moment de rock québécois : on ne comprend pas tout, mais tabarnac’, qu’est-ce que c’est bon.
Direction la Maison symphonique de Montréal pour la deuxième partie de la soirée. C’est le Français Baptiste W. Hamon qui ouvre le rideau pour Juliette Gréco. En voilà un qui marrie adroitement les influences de la scène country-folk américaine (Bob Dylan, Leonard Cohen et consorts) et l’héritage des grands de la chanson française. Portées par une voix vibrante, ses chansons se taillent une place entre tout ça sans forcément atteindre leur but. Trop lisses, sans doute, à moins que les grandes sources d’inspiration revendiquées jusque sur scène ne soient trop lourdes à porter.
Enfin, les lumières se rallument sur Gérard Jouannest au piano et Jean-Louis Matinier à l’accordéon, préludant avant l’entrée de Juliette Gréco. Le concert est attendu comme un événement car, après presque soixante-dix ans de carrière, celle qui fut la muse des existentialistes fait ses adieux à la scène. Pour cette tournée nommée « Merci », elle a choisi de chanter à nouveau les chansons des plus grands : Jacques Brel, Serge Gainsbourg et Léo Ferré. Il faut être Gréco pour revisiter sans complexe des monuments tels que « Avec le temps » ou « Amsterdam ». Par sa voix profonde, son interprétation unique où chaque mot est pesé, elle redonne une nouvelle peau à des chansons tellement immenses qu’elles en paraissent intouchables. Il faut dire qu’elle est pour cela accompagnée par Gérard Jouannest, son mari, qui a composé les plus grands succès de Brel. Toujours aussi grande, toujours aussi belle, Gréco nous invite à un voyage dans le temps. On sent un frisson d’émotion parcourir la salle quand elle entonne, plus que jamais mutine, son fameux « Déshabillez-moi ». Avant un ultime « Temps des cerises », elle interprète « Ne me quitte pas », montrant comme personne avant elle la misère du personnage. Juliette Gréco se retire enfin après une petite heure de concert, des baisers dans les mains. Le public, conscient de sa chance, applaudit une dernière fois la chanteuse.
« Encore une fois
Debout dans le noir
Les mains jointes glacées
Ecouter le rideau se lever
Encore une fois
Entrer doucement dans la lumière
À votre rencontre
Encore une fois
Le partage ! Le temps suspendu
Faire des trous dans les murs
Encore une fois
Avec les mots des autres
Sur leurs musiques
Encore une fois
Vous dire à quel point je vous aime
Je vous suis reconnaissante
De tout ce que vous m’avez donné
Et puis encore une fois
Regarder le rideau se fermer. »
Juliette Gréco
Gréco chante Brel
© Photographie : Benoit Rousseau & Victor Diaz Lamich.