Lessivage d’automne.
LIVRE « Kafka – Nouvelles et récits. Œuvres complètes I ». Traduit de l’allemand (Autriche) par Isabelle Kalinowski, Jean-Pierre Lefebvre, Bernard Lortholary et Stéphane Pesnel. Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre dans La Pléiade, Gallimard.
Cette nouvelle retraduction de français de l’œuvre de Kafka accompagnée d’une recomposition de son corpus permet de retrouver le monde alternatif du maître d’une vérité cachée devenu tangible par les « traces » qu’il a laissées. Celles qu’il revendiquait comme celles qu’il voulait effacer mais que Max Brod a « volées » en trahissant le vœu de son ami. Sans lui auraient été irrémédiablement perdus des textes majeurs qui autorisent à dévoiler le futur par une parole quasiment prophétique que les nouveaux traducteurs déblaient de bien des scories inutiles.
Kafka plus que jamais apparaît comme celui qui a vaincu l’espérance mais – et comme Beckett quoiqu’en d’autres termes – avec humour qui permet d’atténuer des épouvantes qu’il cache sous la ruse. Son imagination le précipita dans des métamorphoses qu’il ne mena pas toujours jusqu’au bout. Mais il a saisi les courants sous-marins qui régissent l’homme et la société. Toujours proche d’une conception prophétique d’un écroulement du monde il a anticipé bien des déconvenues, renonçant parfois de les mener jusqu’au bout tant il était glacé par ses propres découvertes.
C’est pourquoi Kafka fut le « spécialiste » des œuvres inachevées. L’Amérique est l’exemple parfait d’un tel « échouage ». Roman aux titres multiples, Le Disparu (jadis L’Amérique, L’Amerika) décrit – en une sorte de roman d’apprentissage raté – le trajet du jeune Karl Rossmann jusqu’à sa métamorphose – qui n’a rien ici de fantastique ; il perd son identité pour devenir le Negro du dernier chapitre (Le Grand théâtre d’Oklahoma). Ce premier récit linéaire de Kafka raconte les aventures d’un cœur simple et dans lequel toute l’œuvre de l’auteur s’inscrit en filigrane.
Mais dire qu’il s’agit là de « Kafka avant Kafka » comme le fait David dans la précédente édition de la Pléiade était erroné. Le roman possède une grâce étrange que développeront toutes les autres œuvres de l’auteur mais que l’inachèvement providentiel de celui-ci renforce. Et c’est encore plus évident dans cette nouvelle traduction.
Image à la Une © Éditions Gallimard.