Film de Simon Curtis – Sortie en France le 15 juillet.
La simplicité émane déjà du titre. « la Femme au tableau » n’est autre que Maria Altmann, octogénaire émigrée en Californie, décidée à se faire restituer un bien dérobé, le portrait de sa tante bien aimée Adèle.
Une histoire dans l’Histoire qui déchaine les dialectiques entre justice et pouvoir, individu et nation sous le prisme de l’Art.
Qu’on soit bien d’accord, « la Femme au tableau » de Simon Curtis échappe de peu à la déferlante des bons sentiments et au triomphalisme états-unien. Reste qu’il a le mérite de porter sur grand écran le récit de l’un des plus grands pillages jamais commis : celui des biens juifs sous le IIIème Reich.
À la différence du titre francophone « La Femme au tableau » qui nous renvoie à la situation familiale de Maria Altmann, privée du portrait de sa tante, le titre original « Woman in Gold » reprend le titre du tableau de Gustav Klimt attribué à son arrivée au Musée du Belvédère. Là est la tangente !
Le temps fait son œuvre. C’est ainsi que l’identité d’Adèle Bloch-Bauer, épouse d’un riche industriel viennois, fut rayée, une fois son portrait réceptionné en 1941 par le Musée du Belvédère de Vienne. L’œuvre de Klimt incarnera alors la « Joconde autrichienne ».
Plus d’identité du modèle. Plus de référence au sujet juif. L’Autriche demeure transie par « Die Frau in Gold » (la femme en or en allemand) – quoiqu’échappant au culte de la blondeur aryenne.
Pourquoi une telle adoration ? Pour la patte du maître. Pour l’éclat de l’œuvre. Pour la flatterie d’une nation rongée par l’effondrement de l’Empire austro-hongrois. À lui seul, le portrait d’Adèle laisse transparaitre l’éminence du Jugendstil, et se voit transcendé par la référence à l’impératrice byzantine Théodora.
Un joyau national aux yeux d’une patrie meurtrie par un large plébiscite nazi et une dénazification non-aboutie. La politique de « restitution » – sous-entendu des œuvres pillées par les Nazis suite aux expropriations des Juifs – relève d’une pure campagne médiatique lancée en 1998 par Elisabeth Gehrer, ministre de la Culture. Voilà ce que révèle l’affaire Altmann.
Que justice soit faite !
Car en réalité, les Bloch-Bauer sont de riches industriels installés à Vienne dans de somptueux hôtels particuliers. Mécènes des arts, ils se sont vus spoliés de bien plus que six œuvres de Gustav Klimt. Suite à l’inventaire réalisé dans la demeure de Ferdinand Bloch-Bauer, l’oncle de Maria Altmann, Hitler lui-même récupérera deux toiles de Waldmüller, une tapisserie d’Aubusson et une sculpture de Rodin pour son musée personnel…
De son immense collection, Ferdinand Bloch-Bauer ne récupérera de son vivant, en 1945, que son portrait réalisé par Oskar Kokoschka, considéré comme « art dégénéré » par les nazis.
Au-delà de l’injustice perpétrée par les Nazis, l’abjecte relève du déni des autorités autrichiennes un demi-siècle plus tard. Servie au monde comme une preuve de sevrage de l’idéologie nazie, la Restitution s’avère bien factice.
Le juridique prend le pas, car le Ministère de la Culture rejette la demande, refuse l’accès aux archives. Le tableau d’Adèle appartient au « patrimoine national ». S’ouvre l’affaire Altmann.
« Je combats pour obtenir ce qui nous a toujours appartenus ! », déclarait Maria Altmann, dernière survivante des Bloch-Bauer.
Entre sur scène Randol Schoenberg, l’avocat de Maria Altmann. Son pendant fictif : un défendeur en herbe, maladroit et intéressé, qui n’aurait cherché initialement qu’à renflouer ses dettes contractées au cours de ses études aggravées par ses échecs professionnels. Un trait bien caricatural dépeignant ce descendant du célèbre compositeur, victime de la Shoa.
Patrimoine national donc ! N’est-ce pas l’objet même de la politique de restitution qu’avait lancée le Ministère de la Culture.
Ce que ne dit pas le film d’ailleurs, c’est qu’une première loi de restitution de 1945 donnait la possibilité aux propriétaires de se manifester sous un mois pour récupérer leur bien. Et si par chance, le propriétaire spolié avait de quoi en faire la preuve, dans le bref délai imparti, il leur était demandé de reverser une somme en contrepartie.
Le nec plus ultra fut réservé aux expatriés confrontés à une taxation rendant inenvisageable la sortie du bien culturel du territoire autrichien ! D’où le satisfecit général à l’annonce de la loi de Restitution de 1998 (Kunstrücksgabe), restreinte en 2001 !
Revenons à « La femme au tableau ». Toute l’ampleur de cette adaptation tient à la synthèse opérée à merveille d’une procédure judiciaire acharnée durant sept ans. Sept ans au cours desquels Maria Altmann s’est refusée de quitter ce monde sans lui voir revenir le portrait de sa tante emportée bien avant l’Anschluss par une méningite en 1925.
Quelle stupeur, lorsqu’on découvre qu’Adèle en personne avait légué son portrait à la Galerie du Belvédère ! Un testament dénué toutefois de valeur juridique : seul Ferdinand Bloch-Bauer est propriétaire de l’œuvre, dérobée sous le IIIème Reich.
Et si le testament avait bien été légal, le scandale n’en aurait-il pas été plus grisant ? Comment l’Autriche aurait-elle pu se satisfaire de conserver le leg d’une femme dont la communauté a été anéantie avec l’assentiment de ses propres ressortissants ? Un film qui nous interroge sur la capacité de l’œuvre à transcender sa raison d’être initiale et sur la valeur du « bien national ».
L’affaire Altmann se conclut par la restitution des tableaux de Klimt, dont le portrait d’Adèle. Un dénouement heureux pour « la Femme au tableau » donc.
Nonobstant cette pointe d’enthousiasme, nonobstant la beauté du film par ses allers-retours dans l’histoire presque privilégiée de Maria Altman, « la Femme au tableau » maintient en nous un grave sentiment d’indignation à l’égard des autorités qui continuent de nier les droits des victimes du IIIème Reich. L’Histoire nous impose d’être clairvoyant dans le temps présent.
« Aucune philosophie, aucune analyse, aucun aphorisme, aussi profonds qu’ils soient ne peuvent se comparer en intensité, en plénitude de sens, avec une histoire bien racontée ».
Hannah Arendt
Le cinéma a ses raisons de l’Histoire ignore. Pour retracer l’affaire Altmann, consultez l’article de l’Express.
Serge Meunier
Bonjour
Merci, prenant appui sur cette création -que cela donne envie de voir- d’apporter une matière ainsi que votre sensibilité à l’injustice.
Je relirai l’article. Il m’a attiré car Klimt est un être si troublant, car l’époque en question a posé si « sauvagement » tant de questions autour de la puissance…
On comprend que le rapport à ce tableau c’est aussi, dans l’intime, du lien et de l’affect. Tout s’est donc télescopé pour moi : un peintre inspiré et quelque peu démuni de suffisante empreinte sociale, une « femme » reliée à un membre de sa famille lui étant cher et que des péripéties propulsent dans le siècle, une époque qui a comme crucifié l’Europe !..
Sur Arte, hier, jeudi, je regardais justement un film sur l’abyme où a sombré hitler lui-même quand s’est levé le voile sur sa surpuissante insignifiance…
Le pillage, bien sûr : c’est déjà le vampirisme qu’exercent nos personnalités quand on connaît le biais de se prendre pour quelqu’un ! L’injustice de fond ensuite : je suis pour ma part persuadé du fait que ce serait se tromper de ne pas la prendre a priori comme background de toute philosophie de vie. Et enfin, dans nos consciences, comme vous le suggérez : cultiver la clairvoyance…