La Journée d’une rêveuse (et autres moments…)

« J’ai tout pour être heureuse… Et merde. »

Célébrons la folie jubilatoire de Marilú Marini dans l’adaptation de Pierre Maillet de La Journée d’une rêveuse et du Rio de la Plata de Copi.
Avoir la chair d’assumer un tel texte, fait d’intimité et de brusques dénis de l’intimité, de petites choses et de grands éclats, et s’en sortir comme une diva, brillante et touchante — un seul nom : Marilú Marini.

Manuel du comédien : résonner le moindre mot.

Dès l’entrée dans la salle, Marilú Marini est installée sur le plateau, tout près des spectateurs, qu’elle regarde un peu étonnée en attendant qu’ils se calment ; elle chantonne, s’étire, s’échauffe, un peu hallucinée. Et entre dans la danse, une danse faite de mots et de ruptures, de cassures, où pas une virgule, pas une respiration, pas une conjonction n’est sacrifiée : avec un art de la parole devenu rare, elle investit chaque recoin du texte, chaque interstice de la pensée. Elle est bien là, avec le soleil, avec sa chaise, avec tout ce qu’il lui faut pour être heureuse, et elle jouit le texte.

Elle parvient, en racontant le texte, en racontant Copi, à maintenir un peu de sa présence ; il plane, au dessus de ce corps plein de mot, dans cet espace vide, s’incarne à chaque éclat de rire, à chaque cruelle désillusion, dans ces morts qu’on ne peut pas enterrer parce qu’ils ne sont pas tout à fait morts, dans la joyeuse lubricité d’une visiteuse amie, dans ces hommes abstraits qui envahissent le parc et paniquent Marilú. On ne sait plus qui est l’auteur, qui le personnage, qui l’actrice : continuum de chair et d’émotions.

Tout cela ne vient pas de la scénographie, du (très bon) pianiste, des lumières ; tout cela ne vient que de Marilú, de son corps qui éructe la parole et la savoure. Au point d’arriver à investir encore ces vieux clichés de l’art théâtral populaire, qui sur-joue les émotions, qui fait crier un « Ooooh » qui monte dans les aigus et en redescend en levant les bras à chaque émotion de la comédienne : personne d’autre ne sait encore rendre magiques ces gestes simples, usés par trop de mauvais théâtre. Un sommet de jeu, simplement.

JOURNAL D'UNE REVEUSE

Absurde Copi, mais servi.

À presque toutes les représentations de « théâtre de l’absurde » revient la même réflexion : il ne suffit de faire les gestes absurdes, il faut les emplir de quelque chose ; chaque échec de mise en scène absurde semble s’expliquer par là : la facilité de faire le geste et de faire rire par le simple décalage, de ne pas aller plus loin — ce qui a l’énorme avantage d’aseptiser le texte et de ne pas trop déranger le public. C’était le cas de l’En Attendant Godot de J.-P. Vincent, et celui de la Fin de Partie de Françon donnée en 2013, avec à chaque fois le même naufrage : une grosse production, de vieilles pointures un peu usées du paysage théâtral, qui cèdent allègrement à la facilité du montage vide de Beckett, sachant que le public adorera (puisque le public adore rire à peu de frais, quand bien même le théâtre ne serait pas fait pour cela).

Avec La Journée d’une rêveuse et cette vieille fille–veuve perdue dans une maison hors du temps où l’on arrive en volant, on est bien dans une forme d’absurde, mais Pierre Maillet et Marilú Marini refusent de céder à la facilité, et travaillent méticuleusement chaque centimètre du texte et, enfin, les incursions vers les formes populaires prennent sens et ne sont plus un repos de l’exigence. Deviennent une partie de jubilation du texte, de jubilation du corps, de jubilation du sens et du non-sens.

Enfin, le texte résonne et s’amplifie, vibre dans l’appareil phonatoire de Marilú, dans ses yeux, et dans les nôtres.

Retrouvez La Journée d’une rêveuse (et autres moments…) mise en scène par Pierre Maillet,
À la Comédie de Caen, du 1er au 4 décembre,
Au Théâtre National de Toulouse, du 8 au 12 décembre.

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