Festival du Cinéma Italien d’Annecy.
Pas de question, pas de barrage à l’entrée ; juste ce guichet isolé au dessus duquel trône une gigantesque affiche… Une foule éparse et aussi clairsemée que les crânes que j’observe s’amassent poliment – presque pudiquement – devant les façades vitrées du Décavision d’Annecy.
Si ce n’est pas l’effervescence escomptée des grands festivals que l’on ressent en pénétrant dans l’enceinte du bâtiment, c’est bien la fièvre abrutissante du soleil qui nous sape d’emblée. Les rayons invisibles et trop chauds que je regarde une dernière fois à travers les vitres bombardées n’illuminent en rien l’atmosphère générale, ils renforcent tout au plus la torpeur qui s’empare doucement de la foule discrète des cinéphiles.
La 32ème édition du Festival du Cinéma Italien d’Annecy s’est ouverte hier, et dans les rares regards que je croise avant de plonger dans l’ombre intime de la grande salle, la même question semble roder : pourquoi sommes-nous venus nous enfermer dans ces pièces obscures par cette chaleur ?
Un élément de réponse nous a été donné avec la projection de ce film ; non pas comme une révélation prophétique, mais plutôt sous une forme légère. La Mafia Uccide Solo d’Estate, réalisé par Pierfrancesco Diliberto, dit Pif, est une comédie. Une bonne chose en soit quand on se souvient de l’omniprésence de films dramatiques ayant quelque peu plombés la programmation de l’édition précédente. Pif, donc, reconnu chez nos voisins transalpins comme un scénariste télévisuel de qualité, nous raconte l’histoire – à travers la voix-off de l’acteur principal – du jeune Arturo, enfant naïf et attachant vivant dans la sulfureuse Palerme des années 1960. Palerme est alors la capitale politique, économique et criminelle d’une Sicile murée dans son éternel silence.
La Mafia sicilienne, la Cosa Nostra pour les intimes, est un sujet mythique mille fois traité au cinéma, brillamment porté à l’écran par des cinéastes de renom tels que Francis Ford Coppola et sa légendaire trilogie Le Parrain, Martin Scorsese avec les Affranchis ou Mafia Blues et plus récemment par Matteo Garrone et son docu-fiction coup de poing Gomorra. Des films qui puisent leur force dans notre imaginaire collectif forgé par ces histoires d’omerta, de familles rivales, d’assassinats violents et de vieux commanditaires reclus dans d’immenses villas en dégustant l’antipasti. Inutile d’expliquer les rouages de cette machine à succès tant la violence et le fantasme du crime organisé italien fait maintenant partie intégrante de notre culture. En revanche l’exercice devient périlleux à l’approche satirique de cette nébuleuse du crime. L’exemple d’échec le plus flagrant s’image parfaitement à travers l’avant dernier long-métrage de Luc Besson nous gratifiant avec son brûlot confus Malavita, malgré un casting quatre étoiles. Ce film nous provocant de violentes contractions de l’abdomen et de chaudes larmes devant la décrépitude du légendaire Robert DeNiro s’affiche comme l’une des plus mauvaises adaptations comiques de la mafia.
Difficile donc de ne pas être septique avant d’appréhender La Mafia Uccide Solo d’Estate – film en compétition dans la catégorie fiction – lorsque l’on pense que les plus grands réalisateurs de ce siècle se sont cassés les dents en voulant flirter avec la comédie. Pourtant, alors que les premières minutes du film mélangent confusément narration omnisciente, fusillades sanglantes sous fond de sonate frivole et images de synthèses mettant en miroir la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde ou encore Arturo et la mort simultanée d’un grand parrain de Palerme. L’on comprend vite que cette comédie ne ressemble à aucun blockbuster qui, avec cet humour supérieur et complaisant qui les caractérise, tentent en vain de détourner ce symbole d’horreur et pourtant fléau bien réel dans la vie des italiens. Ce n’est pas seulement la Mafia qui est tournée en dérision, mais bien son poids dans le quotidien des habitants lambda.
Arturo, fils d’employé de banque issu de la classe moyenne, va donc être très vite confronté – et souvent à son insu – à l’ombre menaçante de la mafia et à ses tragédies qui vont étroitement jalonner son existence. Comme nous l’apprenons rapidement, Arturo a été conçu le jour du massacre de Viale Lazio, et au-delà du faux traumatisme que cela peut engendrer, au-delà des questions abruptes et embarrassantes que peut se poser un enfant dans une ville où parler rime avec décès, c’est davantage l’inclinaison sentimentale que va prendre la vie d’Arturo au contact de l’atmosphère mafieuse qui est mise ici en lumière.
La mafia est donc une trame de fond, une pieuvre qui rôde et autour de laquelle va se construire fragilement et maladroitement ce personnage au regard d’innocence. Deux obsessions vont naître de cette relation intime – mais jamais directe – entre le crime et Arturo : l’admiration absurde qu’il voue à Giulio Andreotti, Président du Conseil Italien de 1976 à 1979, et l’amour secret qu’il nourrit envers sa camarade de classe Flora. Cette passion presque impossible et les efforts que va déployer Arturo pour la concrétiser vont être les moteurs comiques du film. Evoluant dans une Palerme grouillante et désordonnée, Arturo va rencontrer toutes sortes de personnes, toutes plus ou moins liées à de sordides affaires mafieuses. Leurs interactions burlesques vont être l’occasion pour le réalisateur de donner une satire assez fine d’une Italie vérolée, du prêtre familial étroitement proche du Parrain de la ville, en passant par les journalistes aveugles, les politiques apeurés ou encore les commérages du voisinage cherchant à déterminer quel fils a refroidi quel cousin. Arturo n’aura de cesse de se frotter au danger du crime organisé, sans jamais le comprendre, à la manière d’un Forest Gump penaud, et continuera sa quête inlassable du bonheur et de l’amour.
Si le thème de la Mafia est traité avec légèreté dans ce film, s’effaçant presque devant les déboires sentimentales d’Arturo, il n’en reste pas moins un sujet brûlant qui donnera lieu à un épilogue mêlant images d’archives du « maxi-procès » de la Cosa Nostra et morale légère – un peu lourde il vrai – sur le devoir de mémoire des aînés, sur notre capacité à affronter les mensonges et à briser les tabous. Arturo, qui retrace avec son fils les lieux où sont morts les braves et rares justiciers qui ont croisé son chemin, conclura en ces termes. : « Le devoir d’un père est de protéger son enfant de l’obscurité du monde, mais surtout de lui apprendre à la reconnaître. ».
La Mafia Uccide Solo d’Estate n’est sans doute pas la révélation du Festival du Cinéma Italien d’Annecy, mais il a néanmoins le mérité d’ouvrir cet évènement sur une note légère, imposant un rythme d’une langueur certes surprenante mais qui, on l’espère, présage une évolution crescendo de la qualité des prochains films en compétition.
NOTATION
Il Sud è niente | Carnet d'Art
[…] La Mafia Uccide Solo d’Estate […]
Palmarès | Carnet d'Art
[…] Mafia uccide solo d’estate de Pierfrancesco Diliberto (Voir notre article ici) Rediffusions Lundi 13/10/2014 à 20h30 – MJC Novel Mardi 14/10/2014 à 20h45 – Cinéma […]