Les Deux Fleuves

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

Les vainqueurs l’écrivent,
les vaincus racontent l’histoire.
Élie Yaffa.

Les chemins de délivrance semblent longtemps interminables.
La sagesse en ces temps paraissait chose impossible : nous en étions encore, en Europe, à construire des camps de concentration.

Nous n’en sommes pas tous au même moment de la crise humaine et planétaire.

Certains ne seront pas dégagés des mailles de la Caverne aux heures les plus sombres… Quant à ceux qui seront dehors, ils ne verront pas plus clair dans un premier temps.

Ceux qui s’en iront à la guerre combattre les éléphants trouveront sur leur route des réponses appropriées. Pour les autres, la guerre ne sera bientôt plus qu’une réalité.

Nous connaissons la vieille fable, celle des combats du Mal contre le Bien, cette vieille lune que nous nous sommes déshabitués à craindre, nous qui ne craignons plus ni dieu ni diable…

Tout a commencé avec deux frères, dont l’un était jaloux de l’autre parce qu’il passait pour être le préféré de son père. Rongé par la jalousie, encouragé par l’esprit de vengeance, il nourrira le désir de nuire à son frère comme une obsession. Il commencera par l’humilier, devant les siens, il lui tendra toutes sortes de pièges dans lesquels il se réjouira de le voir tomber. Toute sa pensée, toute son énergie, progressivement, seront vouées à une seule et unique fin : la chute du frère. Ainsi sollicitera-t-il des facultés d’intelligence froide, d’une effroyable acuité et d’une efficacité redoutable, rivalisant avec les plus grands chasseurs et les plus sanguinaires bêtes de proie. Il finira par lui faire la peau. Il lui tombera dessus, en embuscade, probablement à l’aide de deux ou trois complices, armé de pierres et de bois lourds, il le frappera de toutes ses forces, de toute sa rage, il lui brisera les os, il le tuera. Emporté par sa fureur, il lui dévorera le visage, la cervelle, le cœur et les entrailles. Il racontera plus tard s’être octroyé par cette sauvagerie les qualités de son frère qui suscitaient l’amour du père et qui leur permirent, à lui et aux siens, de ne pas subir en retour la vengeance de toute la communauté ; mais c’était seulement la violence et le sang qui l’avaient rendu fou. Il ne laissera rien de son frère qu’un squelette insipide et morcelé qu’il s’empressera d’enfouir là où aucune mémoire n’ira le déterrer.

Telle est l’histoire d’Abel et de Caïn, du premier fratricide qui engendra la guerre et toutes les guerres. Le premier baiser de mort et le dernier doigt sur la gâchette. C’est par ce drame que nous entrons dans l’histoire, c’est par cette brèche que nous sommes engouffrés.

C’est à ce moment-là, mon amour, que nous avons été séparés.

Image à la Une © Loïc Mazalrey.

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