Ma fille sera femen

Ma fille sera Femen

Playlist du mois de février 2015.

C’est le son de ta révolte que j’entends. Ta peau se dévoile sous les lumières de la ville, le corps est nu, ferme et blanc. Tu traverses l’appartement d’un pas léger, tes jambes douces et longues comme uniques liens de chair, ponts duveteux reliant les foudres et la Terre.
Je te regarde évoluer vaporeusement sur le parquet, comme si l’air suffisait à te soulever, à porter ta promesse, à te faire irrémédiablement avancer. C’est un spectacle étourdissant, te voir aller et venir entre ces portes, habiter l’espace, surgir dans l’horizon de l’intimité.
Nous sommes tous les deux, moi le prisonnier et toi la reine solitaire, un règne qui se confine aux frontières de la beauté. Tu es un confort éphémère, une chose vivante que j’étreins certaines nuits, que je cherche à conquérir le jour, dans une guerre de silence, de regards entendus, de combats infertiles qui conduisent la marche du monde et pousse le mien vers l’âge de l’extinction.

C’est la forme du bonheur que j’essaye de dessiner. Mes mains suivent à distance la danse de tes courbes, se posent sur l’hypothèse de ton cœur, de tes seins, épousent la fièvre de ton sang et son inaccessible chaleur.
Tu ne remarques rien, te contente de regarder la rue qui coule en longue trainée de bitume en contre bas. J’aimerais te rejoindre, m’asseoir avec toi sur la fenêtre du monde, ouvrir les yeux sur le vol paresseux du futur. J’aimerais t’enlacer, là, perchés tous deux au-dessus du vide, mais je ne bouge pas.
Tu te rhabilles doucement par des gestes endormis, tu gesticules comme une poupée de soie, tu t’apprêtes à reprendre le cours d’une vie où je ne suis pas. Les minutes s’égrainent doucement, s’étirent comme une existence et cette attente m’est insupportable. Te regarder éternellement partir, c’est la punition que tu m’as choisis.
Je suis figé dans l’instant du départ où tu es seule maîtresse du temps et aucune parole ne sera échangée, mots inutiles qui ne parlent de rien, ne servent qu’à ponctuer la lumière du passé, un monstre d’oubli que je ne peux affronter. La mort ne gagnera pas cette fois, il n’existe rien en dehors de cette pièce, rien derrière cette porte, rien après toi.
L’inégalité de ton sexe, la puanteur de ton arrogance, ma stupidité d’espérance, voilà les seules idées qui me traversent, comme des vents contraires et sulfureux qui attisent une haine, une haine contre toi, contre la suprématie de ta joie, la soumission de ma peine, l’aberrante banalité de nos existences.

Tu as dévasté ce qu’il me restait d’humain, aspiré entre tes lèvres pleines mes dernières larmes, comme si tout cela n’avait jamais existé, comme le lit d’un fleuve que ton indifférence à assécher. Tu pars ce matin, fantôme charnel dans un ciel à moitié réveillé.
J’entends la porte qui claque, et me rendors dans ton odeur. C’est le goût de ton absence qui reste, ma liberté qui meurt.

Killian Salomon

Rédacteur / Auteur

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