Le retour de la momie.
Le dernier film de Xavier Dolan est mort-né. C’est aussi, de par son succès public et critique, un film qui marque une nouvelle appréhension du cinéma d’aujourd’hui, celle de la primauté de l’histoire sur la mise en scène. Il existe quatre, cinq histoires au monde. Le reste n’est qu’une suite de variations se concentrant autour de ces histoires et la seule différence entre elles est la manière de les raconter. Ce n’est donc pas l’originalité, l’émotion du scénario qui va distinguer Dolan comme il semble le croire mais sa mise en scène.
On a beaucoup critiqué Dolan pour sa vanité. C’est une erreur car il n’y a pas d’art sans vanité. Le problème est que chez lui, sa vanité est un prétexte pour masquer une inculture dont Mommy est la continuité parfaite et qui est le socle de toutes les erreurs et tout le danger que représente ce film pour l’avenir du cinéma.
Qu’est-ce que le cinéma ? C’est de l’amour pour les personnages et la restitution de leur vie. Cette captation ne se fait qu’à travers le médium cinématographique, sorte de miroir dont le reflet est capté, emprisonné et passé ensuite sur grand écran. C’est la grande erreur du cinéphile moderne que de croire que la belle histoire de Mommy se suffit. Il n’existe qu’une seule mise en scène dans Mommy, c’est celle popularisée par la bondieuserie de The Tree of Life, la mise en scène publicitaire. Cette dernière tire son essence de la télévision dans la concordance des plans (ralenti sur le soleil au zénith, image filtrée à mort, épis de blés,…) et in fine de l’uniformisation de l’esthétique de toute une partie du cinéma, qui ne laisse pas ou peu de place au reste. Certains citent, émerveillés, le cadre que Steve repousse, étroite camisole qu’on écarte pour faire vivre le bonheur. Ils trouvent peut-être ça novateur, ça ne l’est pas, ingénieux ou émouvant, ça ne l’est pas non plus (pourquoi le refaire une deuxième fois ?). En plus, ce format carré est un format ancien et inconsciemment Dolan nous dit que, le cadre de cinéma d’aujourd’hui contraint, ne peut plus le bonheur ou alors très peu et donc le cinéma est éphémère. Cela fait de la peine car cela a été réfléchi, Dolan manquant clairement de spontanéité, ne réfléchissant pas aux conséquences de ce formatage artistique, rêvant déjà aux paillettes d’Hollywood (Chastain et la mode pour le prochain film, pas étonnant). « Rêver en couleurs » c’est d’abord « rêver en images ».
Il y a quelque chose de révélateur aussi avec les scènes sans dialogue, qui comportent toutes de la musique, comme si Dolan était effrayé de sa mise en scène. La musique chez Dolan comble le silence et les spectateurs ne se concentrent pas sur la mise en scène mais sur la musique qui est extérieure au film car elle a une vie en dehors du film. Wonderwall, I’m blue ou Céline Dion ont trustés les hit-parades dans les années 1990 bien avant que Dolan commence à faire des films. Qu’est-ce qu’il se passerait si les scènes étaient silencieuses ? Existeraient-elles ? Il y aurait-il une vie derrière ces images ? Il n’en est pas si sûr. Le film idéal ne devrait comporter aucune musique.
Les protestations de vierges effarouchés qu’on pu pousser certains au moment de la remise du Prix du Jury au festival de Cannes, ex-aequo avec Adieu au Langage ont été unanimement repris en chœur par toute une frange des médias, critiques et public : le « scatophile » Godard et ses plans immondes, qui ne fait plus de films mais des trips séniles, doit se casser et laisser la place au jeune et flamboyant Dolan. Il n’est pas question de dire que tout le monde doit aimer Godard, que tous ses films sont géniaux mais Adieu au Langage était beau comme tout, un film de cinéma radical, terrassant, ouvrant une brèche comparable à celle qu’avait pu ouvrir Inland Empire : le champ/contre-champ réuni dans une seule et même image et le spectateur faisant son film mental. La beauté n’est plus associée qu’à l’imagerie offerte par la télévision et ce qui est sale, mauvais ne peut être beauté. Les scènes de dispute entre une mère et un fils donnent maintenant envie d’aller s’acheter du parfum au lieu de se pencher peut-être sur celle qu’on entretient avec notre propre maman.
Il faut le répéter : ce n’est qu’un exemple. Mais Mommy a cette conséquence : la beauté est uniformisée à ça et il est difficile de faire valoir une autre proposition esthétique. La télévision a été une grande source d’influences pour les jeunes cinéastes d’aujourd’hui, dont certains ont pu avoir leurs premières émotions cinématographiques à travers ce médium, découvrant plus tard médusés, tel ou tel film sur grand écran. Et c’est à ce moment où la différence se fait. La télévision n’est pas le cinéma, elle n’est pas libre, l’art ne peut pas y déployer ses mystères (c’est pour cela qu’un film est coupé de publicités, la télévision marquant de son sigle tout au long du film, son emprise, rappelant que si le film est diffusé, ce n’est que grâce à elle). L’époque est influencée par la télévision évidemment mais il faut tirer un sens de ces images pour en créer de nouvelles, de cinéma, qui continueront à hanter le spectateur à la sortie de la salle, la recréant, la comparant avec son image manquante, celle parfaite qui ferait la jonction entre le cinéma et sa vie. Quand on lui pose la question sur une hypothétique influence hitchcockienne pour Tom à la ferme (la question a déjà de quoi faire crisser), il répond qu’il en a vu un seul à la télévision. Cette ignorance de se situer dans une histoire commune, la pensée que seule la volonté de faire son cinéma compte, font que Dolan est un mauvais metteur en scène. Pour reprendre l’exemple de la Nouvelle Vague, ses acteurs ont pris le contre-pied de ce qui se faisait auparavant pour dire « le cinéma doit changer» tout en ayant une dévotion pour les films d’avant car ce sont eux qui ont érigés cette possibilité de faire à la fois du cinéma populaire et du cinéma avant-gardiste. Mommy, lui, ne sait pas qu’il fait partie d’un tout aux milles possibilités.
C’est pour cela qu’on lui en veut. C’est de couper ce lien ineffable, celui qui fait qu’on continue d’aller au cinéma pour rêver. Rêver, il n’a que ce mot à la bouche et c’est lui pourtant qui nous empêche ce rêve à coup d’images mortes, celles qui nous font penser qu’au final, tout ça n’en vaut peut-être pas la peine.
Mais alors, me dira-t-on, pourquoi continues-tu à voir ces films ? Je parle en mon nom mais le fait est que Dolan a été proclamé porte-parole de ma génération et je ne veux pas qu’il parle pour moi. Sa jeunesse n’est pas celle de mes camarades ni la mienne. Je ne me suis jamais senti aussi vieux qu’au visionnage de Mommy sauf au générique de fin ; le frisson qui m’a parcouru à ce moment fut celui de la certitude que dès que je le pourrais, je ferais un film, que ce soit avec mon portable, un appareil photo ou une caméra, mais je ferais un film sur la jeunesse de 2014.
Regards divergents sur Mommy | Carnet d'Art
[…] Mommy […]
Laurent D.
Bonjour,
certains points dans cette critique sont très justes. Toutefois, son auteur fait certaines des erreurs qu’il reproche lui-même à Dolan. Il y a donc un manque flagrant d’objectivité dans cette critique. On le voit dans le dernier paragraphe, où l’auteur semble dire « je m’en fous du film, j’écris ces mots juste pour le principe de ne pas aimer Dolan ». Une expression populaire veut que les critiques de cinéma soient seulement des cinéastes ratés; je ne l’ai jamais aussi bien ressenti que dans cette critique. L’auteur démontre une telle envie de détester Dolan qu’il semble jaloux de lui. Il démontre une telle ardeur dans sa critique que celle-ci perd tout son sens et son fond. Je ne sais pas pourquoi j’écris ce commentaire. Le film de Dolan ne m’a pas bluffé, loin de là, et j’aurai sûrement écrit une critique tout aussi négative. Toutefois, j’aurai fait plus attention dans la conception de cette note. J’aurai demandé à ce qu’elle soit relu plusieurs fois. J’aurai construit un texte cohérent, intègre, et non pas une attaque brouillonne contre un cinéaste. J’aime beaucoup votre site, j’aime beaucoup certaines choses que dit l’auteur dans cette critique, mais je n’aime pas la façon dont elle a été faite. Je voulais juste vous faire part de mon impression.