Narcose

Les corps comme force politique.

Narcose ou ivresse des profondeurs, un état où corps et âme peuvent glisser sans que l’on s’en rende compte dans un silence qui se veut intérieur. Perte de contrôle, ou perte de soi, au bord de l’asphyxie, les chorégraphes Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou proposent une création comme métaphore de notre temps où la peur qu’elle soit consciente ou inconsciente, l’appauvrissement des relations humaines, sont des barrières qu’il est possible de franchir et de surmonter.

Évoluant tout d’abord le long de lignes droites imaginaires, les trois interprètes nous guident sur un chemin qui va nous faire plonger avec eux dans un ailleurs. Au fil de leurs traversées plus ou moins rapides, sur une musique aux basses intenses faisant écho à des battements de cœur, leurs mouvements sont d’une étonnante fluidité ou très saccadés, presque convulsifs. Leur motricité semble désorganisée, l’état de conscience comme altéré sur un va-et-vient incessant qui brouillent les frontières et reflètent des émotions contradictoires.

Sur un plateau nu, l’obscur prend place dans un noir quasi impénétrable, un noir des profondeurs, des abysses, du néant où là, tout n’est que silence, où l’on est seuls face à nous-mêmes avec comme seul point auquel se raccrocher notre propre respiration, avant que l’électrochoc ne vienne tel un brusque réveil. Nos sens sont mis à mal, les sons deviennent presque irritants, les effets stroboscopiques, très maîtrisés, nous rapprochent de l’épilepsie comme des soubresauts de notre propre existence.

Arrive la dualité entre les danseurs, la confrontation s’amorce. Nous voyons une bouteille d’oxygène, symbole d’une nouvelle bouffée d’air pour remonter vers la surface, mais quelle est-elle ? Tour à tour, les tableaux éphémères se succèdent interrogeant la place prépondérante que prend l’image dans nos sociétés ; l’image galvaudée que l’on veut donner sur les réseaux sociaux, par exemple. Quelques téléphones laissés au sol se mettent à sonner, reflet d’une hyper-connectivité. Avec cette analogie des temps modernes, tant de notions sont abordées : sexe, drogue, violence, conviction, religion, place de l’individu dans le collectif, ou encore le regard que l’on porte sur soi…

Dans cette plongée qui nous est proposée, c’est l’individu qui est au centre du monde, qui doit redevenir un acteur actif de sa propre vie en arrivant à s’extraire d’un spleen ambiant car il y a urgence à dire et à faire. Au travers de ces corps comme véritable force politique, Narcose véhicule un formidable message sur la prise de conscience nécessaire et nous délivre de l’espoir parce que même au bord de l’asphyxie, nous respirons encore et sommes vivants.

Photographie à la Une © Blandine Soulage @DOUNEphoto.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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