Retour à Berratham

Monsieur Prejlocaj,

Je dois commencer par vous dire merci.

Merci pour votre Sacre du printemps, pour votre Roméo et Juliette… Merci pour vos collaborations avec tous ces artistes. Merci pour le souffle nouveau que vous avez su porter dans les années 80 et ce, sans doute jusqu’au début des années 2000. Merci pour cette force de caractère, cette carrière, cet engagement… Pour tout cela, merci…

Je crois maintenant que l’heure a sonné. Il est temps de s’en aller. De laisser la place à ceux qui ne se laissent pas dépasser par les modes, qui ne se laissent pas écraser par trop de conventions, de consensualismes.

J’ai malheureusement assisté à une représentation de Retour à Berratham dans la Cour d’Honneur il y a quelques jours. Je dois vous avouer que j’aurais préféré ne jamais voir ça. Je ne ferai d’ailleurs jamais plus l’erreur d’un risque pareil. Les dégâts sont trop importants. Je pensais pouvoir croire encore un peu en la génération qu’est la vôtre, qui forme la caste de la scène contemporaine française… Je pensais que si vous receviez tout cet argent public, que si vous étiez en responsabilité de telles productions, de telles institutions, vous étiez conscient de la valeur que cela implique et du devoir auquel vous êtes imposés auprès du citoyen.

Je sais bien que tous ces mots ne sont pas aimés dans le milieu… J’imagine tout à fait que vous êtes libre, affranchi de toute obligation, que vous êtes un artiste et que votre cri adressé au monde vaut plus que tout… Je le crois également. Le problème étant simplement que votre chuchotement de Retour à Berratham n’est autre qu’une forme dépassée, complètement datée, qui ne présente aucun intérêt si nous avons déjà vu le moindre de vos ballets passés. Et en imaginant que nous vous découvrions en ce fameux cru 2015 d’Avignon, il ne faut pas être docteur en histoire des arts du spectacle pour savoir que ce que vous proposez n’a rien à faire dans la Cour d’Honneur en 2015. Évidemment la faute est partagée et nous pouvons très largement regretter le choix de programmation d’Olivier Py qui, en essayant de sauver les meubles, les brûle.

Il faut dire que vous n’êtes pas aidé par votre compère, Laurent Mauvignier, qui a le don d’écrire des histoires déjà vues et revues sans que l’on puisse dire qu’il y injecte une quelconque virtuosité.
Je suis sorti de ce spectacle avec une déception immense, une rage qu’il m’est pénible de contrôler et le sentiment profond que vous vous êtes foutu de moi durant presque deux heures.

Depuis quand un metteur en scène ou chorégraphe digne de ce nom pose dans un coin de l’espace une voiture calcinée et dans un autre coin des pneus entassés sans s’en servir pour un jeu scénique ? C’est complètement gratuit, nous appelons cela, nous autres mortels, du gâchis.

Aussi, depuis quand un metteur en scène ou chorégraphe digne de ce nom peut manquer à un tel point d’imagination et illustrer platement les paroles des comédiens – les sacs poubelles jetés sur scène au moment où il est question de se débarrasser de l’enfant porté par celle qui devient parent unique en est un bel exemple.

Pour finir, qui peut être assez cruel pour imposer à ses acteurs un rythme pareil… Celui du mauvais théâtre de MJC lorsque l’on doit jouer une situation dramatique. Une chanson qui me hante depuis ce soir là. J’en fais des cauchemars.

Monsieur Prejlocaj, je ne vous dis pas merci, je vous considérais vraiment en tant que chorégraphe mais aujourd’hui, à l’heure où vous pensez que tout vous est permis, je crois que votre place n’est plus. Laissez-là à cette nouvelle génération que les institutions étouffent parce que vous les asséchez sans rien laisser après votre passage.

Je serai heureux de lire votre réponse ou, mieux encore, de discuter de tout cela autour d’un verre ou d’un repas (si vous m’invitez).

Bien à vous.

A/

© Photographie : Christophe Raynaud de Lage

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

Be first to comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.