Serge Labégorre

Serge Labégorre - © Stéphane Klein

L’ humaniste.

De l’articulation de l’esprit et du corps jaillit un geste pictural sublime. Sous le pinceau du plus grand expressionniste vivant, l’âme est extraite des tréfonds de la chair ; l’indicible et l’inexprimable se retrouvent figurés dans un cri empli d’humanité.

L’enfance.
La naissance de l’imaginaire.

Je suis né en 1932, j’ai passé mon enfance au-dessus d’une quincaillerie absolument gigantesque dans une petite ville vers Bordeaux qui s’appelle Libourne. Le jeudi, je passais du temps dans les différents étages de cette quincaillerie, et notamment dans le grenier dit Rossignol, avec des centaines d’invendus. C’était magique, une multitude de trésors à portée de main, qui ont contribué très certainement à développer mon imaginaire. À cette époque où j’étais gamin, il y avait une sorte d’ennui et de solitude qui ont été déterminants. Dans le primaire, je me trouvais bien lorsqu’il s’agissait de dessiner d’après ce que je voyais dans la revue Illustration, mais j’étais maladroit. J’ai d’abord été élevé par les Bons pères, mais je n’ai pas pu rester car ils nous ont mis à la porte mon frère et moi… Je me suis retrouvé au lycée, ce qui a été très dur, mais j’ai découvert des pédagogues de grande qualité. Et surtout, je suis tombé sur un professeur de dessin, peintre lui-même, qui avait une façon d’enseigner hors du commun, tout à fait atypique et très efficace. Si on pouvait aujourd’hui reprendre l’enseignement de cet homme, ce serait extraordinaire. Avec sa pédagogie, nous étions acteurs, c’est-à-dire que l’on dessinait, mais nous étions aussi initiés à l’esthétique. C’est le tout premier qui en classe faisait des projections de peintures anciennes, mais aussi contemporaines avec une explication du contexte, de la symbolique, des directions… C’était passionnant ! Il nous autorisait aussi à choisir parmi les peintres contemporains ceux que nous trouvions à notre goût. C’est comme ça que j’ai connu de très grands peintres…

Serge Labégorre © Serge Labégorre

Serge Labégorre © Serge Labégorre

L’adolescence.
La maladie comme bénédiction.

Nous sommes en 1944-1945, il m’est arrivé un grand malheur et à la fois un grand bonheur, celui de tomber malade. Je suis un enfant de la guerre et durant cette période, les français souffraient de la faim. J’ai été victime du bacille de Koch, la grande mode de l’époque, sans remède… Or, je n’avais pas de craintes, je n’ai jamais eu peur de la mort. Ce fut une bénédiction. La grande chance que j’ai eue, c’est d’avoir dans ma famille un homme riche, mon grand-oncle que je considérais comme mon grand-père. Lui et sa femme m’ont invité à venir chez eux, à Langon, la patrie de François Mauriac, qui a été d’une très grande importance pour moi.
Arrivé dans cette maison, ma grand-tante, qui était quelqu’un de très religieux, m’a dit : « Il y a quelque chose de divin dans toute grande maladie, que vas-tu faire de tout ce temps libre ? ».
C’est à ce moment-là que je me suis mis à peindre quotidiennement. Et comme nous vivions dans une grande maison, avec une brigade de domestiques, j’avais tous les modèles que je voulais.
J’ai donc commencé à travailler sur ce qui m’a toujours obsédé, le visage. Il faut des moyens pour appréhender le visage… C’est là que je rends hommage à mon professeur de dessin, car il nous avait enseigné le dessin d’observation. En apprenant à regarder d’une manière très simple, on appréhende le réel. Il suffit pour cela d’analyser simplement des ouvertures d’angles. Au début, on dessine un peu comme un cubiste, puis on aboutit à autre chose…
Ce que j’ignorais à l’époque, c’est qu’à partir du moment où l’on prend la peinture, elle ne vous lâche plus…

Serge Labégorre © Serge Labégorre

Serge Labégorre © Serge Labégorre

L’adulte.
Le visage comme obsession.

Je n’ai jamais eu de mal à appréhender les visages et à les dessiner, j’ai cet amour de l’humain ancré très profondément. Pour moi, la peinture doit être compréhensible et avoir du sens, et je pense qu’il faut maitriser l’humain.
Je ne peux pas voir les visages sans une certaine déformation. Un visage, c’est à la fois du passé figé et de l’avenir deviné. C’est en cela que c’est intéressant et universel. Chaque visage possède un caractère d’unicité absolue, comme les empreintes. Il n’y a pas deux visages qui soient pareils ; même s’il y a des faciès qui peuvent se ressembler, il n’y a pas de sosie.
Il y a donc un rapport au temps très intéressant dans chaque visage car on peut lire en eux une sorte de géographie sur le déroulé de la vie et des choses inaccomplies. J’ai assez vite compris qu’une vie est unique. Il faut tout faire pour la sauver, car si on la perd, c’est quelque chose d’affreux. Cette défaite se marque en vous pour l’éternité.
Je suis dans une quête très personnelle parce que je pense qu’elle est universelle. Nous sommes témoins du monde que nous habitons. Pour moi le monde a une figure.

Serge Labégorre © Serge Labégorre

Serge Labégorre © Serge Labégorre

L’âge d’or.
La peinture comme nécessité vitale.

En tant que jeune adulte, j’ai compris que la province – et Dieu sait si je l’aime ! – était exclue pour les artistes. À l’époque, il fallait un passage par Paris, et j’ai dû trouver une galerie qui voulait bien exposer mes œuvres. Heureusement, il y avait un salon qui s’appelait La jeune peinture, une institution qui n’existe plus aujourd’hui, mais qui prenait alors des peintres jusqu’à trente-cinq ans. C’est là que j’ai fait toutes les rencontres qui, pour moi, ont été vitales. J’ai eu beaucoup de chance pour construire ma carrière, même si je n’aime pas ce terme, et ce grâce au hasard. J’ai quitté l’Éducation nationale ainsi que mon métier de professeur quand j’ai signé un contrat avec une galerie en Angleterre.

Quelques faits marquants ont jalonné mon parcours. De 1977 à 1982, j’ai travaillé avec Suillerot, un des fondateurs de la FIAC. Entre 1989 et 1990, mon exposition, préfacée par Jacques Chalban Delmas, a traversé les États-Unis dans les grandes villes américaines comme New York et Los Angeles. En 2002, j’ai eu une rétrospective nationale à Paris, initiée par le Ministère, car il faut un décret pour cela ! La peinture est quelque chose d’essentiel, elle naît d’un bouleversement. Une image peut être mortelle, tout comme les idées, mais la peinture, elle, survit elle a ce côté immortel, éternel. C’est pour cela que figurer est une nécessité vitale pour moi.
Je suis malheureux quand je ne peins pas, c’est une drogue, et plus ça va, plus je peins, avec moins d’énergie certes, mais il m’est impossible de m’en passer, tous les jours. Le corps est un médium inouï, il sublime la réalité.

Illustré – photographie à la une – par Stéphane Klein.

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