Les différentes essences de bois se transforment sous ses doigts, modelées par la recherche de l’incarnation d’une quête infinie.
Je sculpte depuis une trentaine d’années. Mon rapport avec le bois remonte assez loin. Gamin, je prenais l’opinel de ma grand-mère, j’allais dans les bois et je taillais ce matériau fibreux et élastique. Avec le temps, je me suis aperçu que j’avais un lien avec lui.
J’ai tout un stock de bois que je récupère ou que l’on me donne. Mon intention est toujours la même, je sais où je mets les pieds, et ce que j’ai envie de dire. Je n’ai pas forcément l’image de la pièce avant de commencer car la forme peut évoluer ; on peut dire la même chose avec une forme différente. Mais je sais où j’en suis et je sais ce que je fais. Je me sers d’un morceau de bois comme d’un prétexte, c’est lui qui m’emmène. Je vais essayer d’appliquer ma touche à moi, sans le dénaturer, sans lui imposer quelque chose.
J’aime le rapport intérieur – extérieur. Je dématérialise les pièces pour essayer de les rapprocher d’une surface plane ou en volume. Le morceau de bois a toujours sa forme propre. J’ouvre le volume, je donne accès à l’intérieur, et je donne accès à autre chose qu’aux simples apparences… C’est une démarche, car au final, c’est l’oeuvre qui est métaphore de l’humain. On peut avoir des rapports de sympathie ou d’antipathie avec les œuvres, comme avec les hommes. Plus on creuse, plus on découvre et approfondit la relation.
Les sculptures terminées sont brutes, d’autres sont polies, avec un état de surface soyeux, un aspect de peau. Je peux passer des semaines à caresser une sculpture, il y a un rapport charnel, j’ai besoin de ce côté sensuel. J’ai aussi besoin du savoir-faire, je me confronte à une matière, comme Brancusi, je ne peux pas purement intellectualiser. Humaniser un morceau de bois revient à le travailler, le tailler, le caresser. J’imprègne mes sculptures d’une partie de moi, je ne force pas. Je passe au-delà des apparences, je vais vers le symbole plutôt que le réel, il y a une sorte de quête de sagesse. Quand je sculpte, je passe par tous les types de relation que l’on peut avoir avec les humains. Au début c’est très violent, avec la tronçonneuse, la masse, le coin, c’est un défoulement complet. Après, cela se transforme, la relation s’affine pour parvenir à ce qu’il y a de plus tendre et de plus sensuel.
J’ai essayé de tailler la pierre ou le métal, mais je n’en ai pas fini avec le bois. Je trouve la pierre belle mais je ne sais pas comment la prendre, elle me correspond moins, c’est une matière morte, inerte. Le bois bouge avec le temps, il reste vivant, la matière discute avec l’hygrométrie et moi je l’observe. Le bois décuple tous les sens, bien sûr, on peut le toucher, mais il a également une odeur qui vous emporte ailleurs.
J’ai encore des choses en gestation. J’aimerais faire une tenue complète en bois, un peu comme Iron Man qui rentre dans une armure. Recréer une apparence de bois, que je pourrais habiter et incarner. J’aimerais également faire une exposition itinérante, avec l’idée de mettre en valeur le matériau et explorer la surface, le volume et l’espace à de multiples échelles. Mettre en relation le bois et l’humain, commencer avec le doigt, la main, le bras, puis le corps entier et finir par rentrer à l’intérieur, comme pour inverser l’espace.
La sculpture ne m’appartient plus quand quelqu’un la regarde. On ne possède pas les gens, on laisse la liberté aux œuvres, elles inspirent ce qu’elles inspirent, je ne suis plus maître de cela. Les gens qui s’entourent de mon travail me disent qu’ils l’aiment, ils le touchent, comme lorsque l’on aime une personne, on ne fait pas que la regarder, on la touche, par amour. Plus tu l’aimes, plus elle te le rend, une relation s’instaure avec l’objet. Souvent, quand je pose la main sur le bois, j’ai cette sensation d’infini, d’une sorte de quête à cheval entre la vie et la mort.
William Laperrière est représenté par la galerie Ruffieux-Bril – Chambéry.