Il Sud è niente

Il Sud è niente_Affiche

Festival du Cinéma Italien d’Annecy.

Autre film en compétition dans la catégorie fiction, c’est au tour du premier long métrage du réalisateur Fabio Mollo, Il Sud è Niente, de venir briller sur l’écran de la grande salle du Décavision. Si La Mafia Uccide Sola d’Estate (lire notre critique ici), donnait des éléments sur la nouvelle orientation de la programmation – plus légère et peut-être moins brillante – nous renouons bel et bien, au travers de la narration brute et étirée de Il Sud è Niente, avec ce qui forgea l’identité de ce festival : un lieu où les cinéastes peuvent s’exprimer librement, un lieu où l’on s’abandonne à un voyage sensible, où les émotions éclatent et vibrent longtemps entre les murs calfeutrés.

Après une première projection comique et en demi-teinte, le choc visuel et assourdi qu’impose Il Sud è Niente n’en est que plus violent. Assourdi car la trame de fond est la même. Le poids de la Mafia dans les villes dépouillées du Sud de l’Italie mais surtout, le poids de son silence ; ce mutisme ancré dans l’ADN des italiens qui donne au terme d’omerta tout son sens. Une signification lourde et corrosive qui ronge les consciences et mènera aux bords de l’implosion la famille de Grazia.
Jeune fille aux airs de garçon manqué, Grazia erre dans un dédale de rues poisseuses et surchauffées, un labyrinthe dans lequel elle égare son identité, son avenir, et tourne en rond à la recherche d’une seule et unique réponse : qu’est-il arrivé à son frère Pietro, disparu depuis des années et dont le souvenir semble se laisser peu à peu absorber par l’oubli et le silence ? En échec scolaire, rejetée par ses pairs à cause de son physique androgyne, Grazia n’a qu’une obsession : retrouver son frère, connaître son histoire et renouer avec son passé, un passé où sa grand-mère la décrivait heureuse. Cette dernière, fervente religieuse, entretient avec Grazia une complicité fusionnelle, exacerbée depuis la mort de sa mère. Mais sa tendresse, son regard protecteur et ses prières sont inutiles face à l’obstination de Grazia. Son idée fixe qui se mue bientôt en obsession lorsqu’un jour, elle pense apercevoir un visage familier, un profil ressemblant étrangement à celui de son frère.
La quête effrénée de Grazia se brise continuellement contre le même mur ; un rempart de non-dits, une impasse où les mensonges sont trop intimement liés à la survie.

Il Sud è niente

Il Sud è niente

Film à petit budget, la réussite et la sincérité de cette fable humaine se repose sur deux ingrédients essentiels : la réalisation et le jeu d’acteur. La réalisation d’abord qui, mêlant plans serrés et traveling lancinants, parvient brillamment à donner une consistance aux thèmes forts et vaporeux de ce film : le silence et l’absence. Répliques lapidaires, décors fantomatiques ou encore volubilité des êtres qui traversent brièvement le drame familiale, Fabio Mello enveloppe le spectateur dans une suffocation langoureuse, une étreinte avec le vide et l’oubli qui nous laisse parfois sans repères, puis bascule brusquement vers une tension aigüe. L’enchainement de certaines scènes impose à notre scepticisme la maîtrise que le cinéaste fait de son sujet. On pense aux prières de la grand-mère, litanies répétitives et angoissantes qui accompagnent certains plans séquences. Cette scène de la fête foraine également, durant laquelle Grazia se met à danser, à sauter de rage, au milieu du stand d’auto-tamponneuses désert, sur un fond sonore électro confiant à l’évanouissement.

Les scènes de plongées dans l’eau froide ; parabole d’un monde de silence total, où certaines vérités hallucinatoires semblent pourtant voir le jour, comme sacralisées par un procédé de purification religieuse.
Ombre planante de la religion également, dans cette séquence luminescente de la célébration de la Vierge Marie. Une liesse populaire et une ferveur alors absolument étrangères à l’état de confusion dans lequel se trouve l’héroïne. Ce personnage en quête de vérité, cherchant à comprendre, à se souvenir, incarne la contradiction d’un pays gangréné, la révolte et le renouveau d’une génération italienne qui n’a plus peur de parler, qui veut briser les chaînes aphasiques imposées par leurs aînés.
Une notion de rupture qui nous conduit à l’autre élément essentiel de ce film : la relation entre les personnages et le jeu d’acteur. Trois générations s’opposent dans, trois visions divergentes entre le bien et le mal, entre le possible et la fatalité. La grand-mère est l’être de bonté et de tradition catholique, capable de voir le bon en toute chose mais occultant l’obscurité du monde, déclarant ainsi à la manière d’un dogme archaïque : « Si on ne dit pas les choses, elles ne peuvent pas nous faire de mal. », et plus loin « Il sud è niente, e niente succede« .

Cristiano est quant à lui la surface et le reflet d’un même miroir, incarnation complexe du fils et du père, homme de paroles aux croyances désuètes dans cet univers de silence, sacrifiant tout au profit de l’éducation de sa fille, oubliant ses propres incertitudes jusqu’à s’oublier lui-même.
L’angle le plus obtus dans ce prisme triangulaire, celui qui s’ouvre le plus largement à l’impudeur de la caméra mais surtout à la voie d’une révolte écumante est bien entendu Grazia. L’objectif tourne comme un satellite autour de son être, de sa peau écornée par le travail dans le magasin familial, frôle les traits bruts de son visage masculin, explore chacun des regards intransigeants qu’elle jette sur le monde, décortique ses pores et ses pleurs, capte chaque tressautement rauque de sa voix. Et cette attraction magnétique n’est pas qu’une simple décision de mise en scène, elle est charnelle, virale et explose à l’écran comme le talent de cette jeune femme qui n’avait jamais fais de cinéma, « comme la plupart d’entre nous » confie avec un sourire gêné le réalisateur, alors présent lors de la projection en avant-première de Il Sud è Niente en France.

Pour une première réalisation, Fabio impose sa patte à ce festival et même s’il est fort probable qu’il ne remporte pas le prix sacré face aux autres monstres prochainement diffusés, il est certain qu’il décroche haut la main notre coup de cœur de ce début de festival !

NOTATION

Slash rougeSlash rougeSlash rougeSlash rougeSlash noir

Killian Salomon

Rédacteur / Auteur

1 Comment

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