Le rire dans tous ses états

Le rire dans tous ses état © Gwenaël Bollinger - Nouvel Horizon

« Le rire est le chemin le plus direct entre deux personnes »
Charlie Chaplin.

D’après Rabelais qui s’inspira d’Aristote, lui-même utilisant les remarques de Platon dans son Philèbe, le rire proviendrait d’une intelligence qui apprécie une situation sous forme d’une distance prise par rapport aux évènements. En somme, une conscience qui distinguerait l’homme de l’animal. François Rabelais avance la thèse du célèbre texte de l’Antiquité romaine, le Traité des Parties des animaux d’Aristote où ce dernier défend l’idée que « L’homme est le seul animal qui ait la faculté de rire. ». Selon Aristote, le rire fait partie d’une des qualités humaines. Au fil du temps, cette conception a été mise en avant par l’homme, accordant ainsi au rire une importance toute particulière.

Bergson lui voit dans le rire « de la mécanique plaquée sur de l’humain ». C’est le comique de répétition, l’Homo sapiens transformé en marionnette et qui perd sa dignité d’homme. Dans Gargantua en 1534, Rabelais affirme : « Le rire est le propre de l’homme. ». Cette expression a été utilisée pour titrer plusieurs œuvres, dont Le propre de l’homme, livre de Robert Merle paru en 1989 et Le propre de l’homme, film de Claude Lelouch sorti en 1960. Toutefois, le contraire a été scientifiquement prouvé : le rire existerait aussi chez les animaux. Le rire serait commun à tous les humains, indépendamment de leur culture ou de leur ethnie, mais se retrouverait également chez les primates. Les études de Charles Darwin avaient contribué à faire remarquer que les singes et d’autres mammifères émettaient des bruits rythmés évoquant le rire durant leurs jeux. Mais personne jusqu’ici, n’avait pris la peine de comparer ces rires à celui des êtres humains. Des zoologistes et psychologues anglais se sont penchés sur la question pendant des mois en comparant grâce à des enregistrements sonores précis, les rires de jeunes primates et ceux de bébés humains. L’étude a démontré très clairement que les rires enregistrés dans les mêmes conditions, provoqués par des stimuli identiques, donnaient les mêmes résultats. Les chercheurs ont ainsi pu conclure que le rire n’était pas une caractéristique nouvelle, ni seulement propre à l’Homme.

Avec cet adage, Rabelais a-t-il souhaité identifier dans son observation sous forme d’ironie ce qui distingue l’homme de l’animal ? Peut-être est-ce l’humour qui différencie l’homme de l’animal et qui est le propre de l’homme et non le rire en lui-même ?

Pendant des années, on se contentait du 1er avril et de ses poissons avant qu’une journée mondiale du rire ne soit instaurée grâce à un médecin indien, Madan Kataria. Le rire est ainsi fêté chaque premier dimanche du mois de mai dans trois mille cinq cents clubs du rire à travers le monde qui célèbrent cette journée avec des spectacles et des activités comme l’humour, le yoga du rire ou les ateliers de chatouilles. En France, cette journée est célébrée chaque année depuis 2003 et donne l’occasion aussi de réaliser le plus grand éclat de rire dans notre pays. Chaque année le Rire d’or récompense une personnalité militant pour la reconnaissance du rire, de l’humour et des sentiments positifs rejaillissant comme bienfaits pour la santé.

Point de vue médical.

Le rire apparaît vers l’âge de quatre mois chez le nourrisson. Il peut être provoqué de différentes manières : une situation comique inattendue, un spectacle d’humour ou encore un gag. Et c’est tout notre corps qui réagit et se métamorphose. Le rire entraîne alors des contractions courtes, des spasmes du diaphragme, une saccade des épaules et une détente des zones musculaires au niveau des membres et du visage ainsi stimulés. Ce sont ces derniers qui donnent l’expression rieuse à notre visage : ils attirent les coins de la bouche et des paupières vers le haut. Le rire détend les muscles du larynx, provoquant toutes sortes de vocalisations inarticulées plus ou moins bruyantes ou de cris, spécifiques à chacun. Le système limbique d’une partie du cerveau détermine l’intensité avec laquelle une personne ira du rire discret au fou rire. L’hypothalamus libère dans l’ensemble du corps des endorphines, aux propriétés anti-douleurs et calmantes. Le cœur bat plus fort, dilatant les artères et provoquant une baisse de la tension artérielle. Tout le corps est envahi alors par une sensation de bien-être et de détente. Rire est essentiel pour la santé, aussi bien physique que psychique. Il dope et réduit les risques de maladies cardiovasculaires, diminue le stress, stimule les organes vitaux, renforce le système immunitaire. L’organisme est plus résistant aux infections, aux allergies mais aussi à de nombreux cancers. Les bienfaits du rire sont nombreux et les médecins préconisent de rire au moins dix minutes par jour pour ressentir ses bienfaits sur notre organisme. Le rire est une maladie contagieuse : une personne qui rit amène le rire, c’est le rire social ; est-ce sans danger ?

Lien social.

Le rire agit comme un véritable lien social, comme l’a si bien dit Charlie Chaplin : « Le rire est le chemin le plus direct entre deux personnes. ». Rire en groupe crée un sentiment d’appartenance à une communauté et facilite les liens entre individus. De même, savoir rire de ses maladresses et utiliser l’autodérision permettent d’être plus à l’aise et d’avoir moins d’inhibitions. Rire est inné chez l’espèce humaine. L’homme rit douze fois moins seul qu’en présence d’autres de ses semblables, ce qui tend à prouver que le rire a un rôle social.

Paradoxalement, le rire est étroitement lié à son contraire, les pleurs. Le rire est un réflexe exprimant la gaieté, la joie, le bonheur, l’amusement ou la surprise. Mais on peut pleurer de rire ! Conférant une dimension de partage irrésistible, rire est un phénomène d’empathie faisant intervenir un système de miroir du cerveau en situation communautaire ou sociale que l’on retrouve chez les inconditionnels de certaines comédies : Les tontons flingueurs en 1963, Rabbi Jacob en 1973, Le père Noël est une ordure en 1982 ou encore Coup de foudre à Notting Hill en 1999. On observe plusieurs formes de rires bien distinctes. On reconnaît aisément le rire nerveux dû à une tension qui se relâche d’un coup pour éviter la panique lorsqu’une personne s’aperçoit après une forte anxiété qu’il n’existe aucun danger. On peut se rappeler alors de la panique de Woody Allen dans le film Meurtres mystérieux à Manhattan où l’ambiance électrique camouflée sous des airs de jazz trépidants et délicieux donne un rythme palpitant au film.

Proche de lui, le fou rire est un rire incontrôlé où l’hilarité peut s’interposer, voire à en mourir de rire : des cas de mort causée par hilarité ont en effet été relatés dès l’Antiquité. L’une des mentions les plus anciennes est la mort de Chrysippe de Soles bien que la véracité de l’épisode soit incertaine. Des cas plus récents ne font quant à eux que peu de doutes sur leurs origines. L’expression « mourir de rire » n’est donc pas totalement dénuée de fondement. Le rire jaune est un rire forcé ou faux, utilisé lorsqu’un individu veut se faire percevoir positivement, alors que celui-ci n’a pas vraiment envie de rire. Le rire réactionnel qui relève d’un état intra-humain est une décharge émotionnelle qui peut paraître stupide ou pitoyable pour un témoin extérieur. Celui qui rit en présence d’un danger réel sera vu comme un fou. Le cinéma hollywoodien en fait référence et utilise le rire machiavélique qui déclenche chez le spectateur la méfiance, le rejet et le danger. La scolastique en a fait un attribut de Lucifer. Le Nom de la rose d’Umberto Eco reprend ce thème : le rire cruel, ricanant, démoniaque du moine dans le film.

Le rire dans tous ses états - © Gwenaël Bollinger - Vent Porteur

Le rire dans tous ses états – © Gwenaël Bollinger – Vent Porteur

Les conséquences.

Complétons le sujet par la caricature. Celle-ci consiste à pousser un trait de caractère tellement loin qu’il devient irréaliste et donc faux. Au Japon, les gens se forcent à rire lorsqu’ils sont soumis à une peur qu’ils savent irrationnelle ou qu’ils viennent d’avoir justement peur de quelque chose. En Occident, le rire est souvent associé à la moquerie : une forme d’humour qui consiste à signifier qu’une personne veut se donner des grands airs sans en avoir l’envergure. La moquerie se raccroche donc au principe du danger qui se révèle faux lui aussi. Paradoxalement, la joie exprimée par le rire est toujours associée à des sentiments de haine et de mépris. Chez les humanistes, Castiglione argumente et écrit : « À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. ».

Hobbes écrit dans The Elements of Law : « La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. ». Telles furent à la cour des Rois de France et comme il en existe encore, les humiliations entre bourgeois de salons qui, pour plaire à des notables en vue, rivalisaient à coup d’humour couvert de mépris insidieux pour augmenter leur estime auprès des plus puissants et rester dans le cercle malsain des gens trop orgueilleux et vaniteux par peur d’en être chassés.

Mais Hobbes dit aussi qu’il faut établir une différence totale entre le rire et le sourire. Effectivement, le rire est synonyme de dérision mais le sourire, lui, est une expression naturelle de plaisir et d’encouragements. L’image chrétienne du paradis comme une source de joie éternelle que nous admirons dans les tableaux de la Renaissance, au travers des sourires des personnages nous invitant par leurs gestes de la main et leurs regards levés au ciel, confiants et heureux, montre une joie céleste.

Le sourire relie au sublime. Le caractère éternellement énigmatique du tableau de La Joconde de Léonard de Vinci provient du sourire de Mona Lisa dont la source de la joie intérieure demeure un mystère.

Article illustré par Gwenaël Bollinger.

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