Premier amour

Beckett intériorisé.

Jusqu’au 18 octobre, à Lyon, plongez dans l’intimité d’une écriture de la différence, du délassement et de la lenteur.

Sur un plateau minimal, un acteur, seul. La voix souple et fuyante de Sami Frey, qui expose posément les faits d’un passé fluctuant au gré d’une mémoire affective.

Plongée intime.

Premier Amour, c’est une question de mémoire, et une question de volonté, d’arrangements. C’est, avec la poésie de Beckett et sa finesse, son humour, un frottement contre le vécu de chacun. Racontant les errements de son personnage, il parle à chacun de ces moments où l’on essaie de trouver comment vivre ce que l’on ressent, comme vivre avec pour ne pas vivre pour. Poésie du sevrage contre-intuitif.

Ça n’est pas encore le Beckett le plus connu, celui d’En Attendant Godot et de Fin de partie, le Beckett qui affronte l’absurde métaphysique. Il n’y a pas encore cette mise en place d’un dispositif de piège, comme le monticule d’Oh les beaux jours ; c’est une autre écriture, à l’humour moins appuyé, plus subtil, par petite touches délicieuses. C’est déjà, en partie, un constat de vanité sublime, mais c’est encore interne, il y a un accès à l’intériorité réelle des personnages. C’est probablement moins magistral, moins sublime, mais bien plus touchant.

Et c’est là que Sami Frey réussi à faire sienne la poétique de Beckett : il ne s’agit pas de crier, il ne s’agit pas de chercher le rire — qui jaillira tout seul du texte ; il ne s’agit pas de se faire valoir. Il faut avoir l’humilité de se laisser imprégner par la vie anormale du personnage, de se glisser dans ses défauts et de les habiter.

Être voix et être corps.

L’enjeu est donc de savoir porter une parole si faible, si douce, de savoir l’incarner alors que tout en elle tend à la désincarnation. Le choix de Sami Frey d’incarner un humble vieillard, qui, dans une ambiance où quelque chose rôde, sans jamais être évoqué, va conter sur le ton de la conversation intime sa vie, conçue comme une concaténation d’événements, sans planification, est donc un choix judicieux. Il se produit cette magie du lieu théâtral : au bout d’un moment, ne plus savoir s’il parle de lui ou s’il parle de toi.

En cela, c’est réussi. La voix est étudiée, communicante. Le corps l’est moins. Il peine à convaincre. Majoritairement en retrait, il ne gêne pas, et ne gênerait pas, si Sami Frey n’avait choisit de le faire ressortir par moments : à l’occasion d’un bruit, il tourne la tête, se lève, se rassied. Et nous n’y croyons pas, il ne les investit pas. Ces fioritures de conservatoire sont regrettables, mais marginales — encore que : rater un final, est-ce que ça peut être marginal ?

En somme, découvrez une belle voix de Beckett, malgré quelques défauts, aux Célestins, jusqu’au 18 octobre, jouée et mise en scène par Sami Frey.

1 Comment

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    Répondre octobre 10, 2015

    gavard-perret

    TEXTE MAJEUR.

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