Yan Zoritchak

Le céleste.

Sculpteur sur verre, il saute d’une étoile à l’autre, toujours infatigable. Il capture des morceaux de la galaxie pour les enfermer dans ce verre sous tension. Il a peur de voyager dans l’espace mais n’en a pas besoin, il le connaît par cœur et nous le propose à portée de main grâce à sa virtuosité.

Quel est votre parcours ?

Je suis originaire de l’Est de la Slovaquie et j’ai fait l’École des Beaux-Arts de Prague. Avant de faire de la sculpture sur verre, j’ai travaillé la pierre, le bois et le bronze. En 1968, lorsque j’étais étudiant, j’ai même fait des pièces de monnaie. En 1969, j’ai trouvé un emploi en Dordogne pour refaire des vitraux. C’est cette année-là que j’ai fait ma première sculpture en verre – un œuf transparent en cristal. Entre vingt et trente ans, on se cherche. J’ai bifurqué sur le verre car c’était plus rare, plus difficile à faire, plus atypique. Intuitivement, je me suis dit que cela pourrait m’ouvrir des portes vers un monde inconnu, vers des rencontres avec le public.

Comment avez-vous pu voyager à l’époque du rideau de fer ?

Quand j’ai réussi à venir en France, j’ai envoyé des enveloppes vides chez moi en Slovaquie où je m’invitais moi-même dans les pays de l’Ouest car il fallait avoir une adresse pour sortir du pays. Ainsi chaque année, je voyageais et je pouvais rester un mois à l’étranger mais cela avait un coût. J’avais des astuces extraordinaires pour tenir tout le mois. Par exemple en Allemagne, je jonglais avec le taux de change entre le Deutsche Mark et les Couronnes, je pouvais me nourrir pour le tiers du prix officiel. Pour aller en France, j’achetais mes billets de train à l’avance et je les revendais une fois arrivé à la Gare de l’Est à Paris, avec la différence entre le Franc et les couronnes, je gagnais de l’argent.

Comment décrivez-vous le travail du verre ?

Au départ, le travail du verre était laborieux car c’est un matériau fragile, il résiste et se casse. Il faut se l’approprier, dialoguer avec lui et avoir des idées concrètes et créatives pour pouvoir s’exprimer à travers cette matière, ce n’est pas évident. C’est un peu comme pour un musicien, il faut commencer par faire ses gammes avant de faire des concerts. Jusqu’à mes derniers jours je ferai des gammes tout en m’exprimant au travers de mes expositions et de mes collections.

Yan Zoritchak © Pedro Studio

Yan Zoritchak © Pedro Studio

D’où provient cette dimension céleste dans vos sculptures ?

C’est un thème qui me plaît. Le 4 octobre 1957, quand Spoutnik est parti dans l’espace, je le regardais et j’écoutais. Je suis un enfant de Spoutnik. Dans mon village natal au milieu des montagnes, je dormais souvent à la belle étoile, le ciel était mon duvet. Aujourd’hui, il y a beaucoup de pollution lumineuse, on ne voit plus un ciel clair à part dans des vallées reculées. Pourtant, il est extraordinaire de regarder la voûte céleste avec cette toute puissance, lointaine mais nous réchauffant quelque part, autant dans notre corps que dans notre esprit.

Essayez-vous d’enfermer cette voûte céleste dans le verre ?

Je travaille sur un thème qui est d’actualité pour l’humanité, les exoplanètes. Dans l’état actuel de ses connaissances, l’homme n’a pas les moyens de voyager hors du système solaire mais je peux proposer des variations sur ces exoplanètes, sur la vie, les formes et les couleurs. J’ai toute la liberté possible car dans notre génération, personne ne peut aller vérifier sur place. Les exoplanètes sont enfermées à l’intérieur de mes sculptures dans des espaces que j’imagine.

Ces éclatements à l’intérieur du verre ne relèvent-ils pas du hasard ?

Le hasard n’existe pratiquement plus car je m’impose un thème de travail que je développe avec les exoplanètes et éventuellement leurs habitants si on prenait une loupe. J’imagine toutes les variations afin que les enfants en bas âge, les étudiants, les adultes et les gens hors d’âge – comme moi – puissent se promener dans leur esprit et toucher les sculptures, ce qui nous donne un autre sens de perception.

Yan Zoritchak 03

Yan Zoritchak © Pedro Studio

Votre sculpture est sensorielle ?

Tous les sens sont mis à contribution, même l’odorat, car il faut l’imaginer. Les images se projettent dans l’espace, on voit des volumes mais ils n’existent pas car ce sont des effets de miroir, sans miroir. Les volumes des corps célestes deviennent entiers grâce à la réfraction.

Quels bruits avez-vous à l’esprit ?

Mes bruits ou ma musique sont plutôt des choses que j’imagine, imperceptibles. Je chante mes histoires d’enfance mais je ne sais pas à quoi elles riment car ce sont des souvenirs. Le bruit de mon âme est très complexe.

Voudriez-vous aller dans l’espace ?

Je n’ai pas le temps, j’ai trop de travail, je n’ai pas peur mais on ne sait jamais. J’aimerais bien aller à Cap Canaveral pour assister aux décollages de fusées. Je voudrais également discuter avec Jean-Loup Chrétien ou Patrick Baudry car eux sont allés dans l’espace, ils pourraient avec leur expérience m’apporter un éclairage sur mon travail, une nouvelle perception.

Êtes-vous influencé par d’autres cultures que celles du Vieux Continent ?

Je ne pense pas être influencé dans ma démarche parce que dans ce domaine la différence culturelle est très grande, certaines cultures n’ont pas les clés pour accéder à mon travail. J’ai vécu des histoires d’après-guerre, je me suis donné les moyens pour voyager et découvrir. Il m’est difficile de baigner dans d’autres cultures et d’en transcrire quelque chose même si les peuples ancestraux et authentiques sont importants pour moi.

© Photographie : Pedro Studio

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