Entre les atmosphères vaporeuses, les corps se dévoilent dans une subtile fragilité. Alors s’ouvre le dialogue des formes et des couleurs d’où l’énergie du vivant surgit.
Vous êtes inépuisable, que recherchez-vous ?
J’aime me laisser aller à ce qui vient. Au départ, j’ai abordé le paysage avec des formes flottantes. J’ai séjourné au Viêt Nam où j’ai suivi un stage aux Beaux-Arts d’Hô-Chi Minh durant un peu plus d’un mois et j’ai été très marquée par la lumière, l’ambiance et certaines rencontres. Dans mes toiles, l’influence de ce pays ressort par des ambiances assez vaporeuses, des glissements de matière et des couleurs parfois très douces. Ensuite, j’ai commencé à insérer le motif dans mes tableaux car je voulais travailler des couleurs plus chaudes et des rapports chromatiques qui me surprennent. De là j’en suis arrivée aux corps qui s’enlacent avec le paysage tels deux éléments indissociables. Un seul repère de figure, un nœud, une chevelure me permet de travailler le paysage, j’aime que la forme du corps s’ouvre et se perde pour qu’il devienne un simple déploiement de plis dans le tableau.
De quelle manière travaillez-vous ?
J’efface énormément. Pour commencer un tableau je lance la matière puis je fais une forme. Le crayon peut venir très tôt ou plus tard comme une sorte de va-et-vient avec la matière. Je peins en laissant revenir certaines strates du visible, ses repentirs, en plissant les espaces. J’essaie de donner corps au trait, de libérer l’énergie, sa fragilité aussi, les coulures, sa finesse, ses hésitations. Je travaille beaucoup au sol, souvent sur plusieurs œuvres à la fois. Il y a comme une douceur dans le corps et l’énergie vient l’entourer. Dans mon travail, je suis un peu saisonnière aussi car je n’ai pas les mêmes rendus suivant que l’on est en été ou en hiver, je ne vais pas sur les mêmes couleurs et le séchage des matières apporte des rendus très différents. Quelques fois je cherche à associer des couleurs qui à priori n’iraient pas ensemble et je suis la première surprise du résultat, je me dis parfois que cela fonctionne comme dans certains Kimonos japonais.
D’où vient la pudeur qui se dégage de vos tableaux ?
Je pense que l’on peint ce que l’on ne dit pas. Il y a une certaine pudeur des mots qui se retranscrivent sur mes toiles, j’ai un besoin de voir, je cherche un regard à chaque fois. Je vais chercher ce qui doit venir, mais tout ne va pas se transformer en images définitives, j’aime laisser le doute, laisser la place au vide, laisser la place à l’idée de se perdre. Il y a également un léger érotisme dans le dévoilement des corps, je suis plus dans la nuance que dans l’évidence.
Comment canalisez-vous toutes les énergies dont vous êtes imprégnée ?
J’ai fait des tableaux plus abstraits, toujours avec cette idée de liens. L’idée que le regard sautille d’un espace à l’autre, que l’on se perde dans des traits, des molécules, une cartographie, m’intéresse. J’ai également eu une période où j’avais envie de saturer l’image de motifs pour remplir les vides. Parfois je laisse reposer l’abstrait et une figure va émerger. Je me sens d’autant plus comblée quand je suis dans un entre-deux, là où la « présence » est suggérée et par là même, nous appelle. La matière que je lance au départ est aléatoire, elle donne des brillances et je ne vais pas à leur encontre. Le risque est d’aller trop loin dans ce que je veux faire et il n’est pas toujours évident de savoir quand s’arrêter. L’énergie est provoquée par les effacements, les coulures ou les glissements de matière. Ma démarche est faite de creux et d’ancrages, je rebondis sans cesse, je ne programme rien et lorsque je peins, je pousse la pensée ailleurs, j’aime laisser le corps s’exprimer, la présence émerger et l’espace poétique s’ouvrir.
Florence Dussuyer est représentée par la galerie Au-delà des Apparences d’Annecy.
© Photographie : Linh, technique mixte sur toile, 200 x 200 cm, 2014