Jidé

Entre béance oculaire et question de paysage.

Un paysage n’existe que s’il retourne la vue, interroge le regard qui est censé le voir. De l’œil au regard s’introduit donc un glissement : celui qui fissure les certitudes de la contemplation fétichiste et de la possession carnassière des images. Jidé le sait : sa pratique tient de la sélection d’un regard qui se met à bouger. La nature acquiert des bizarreries là où, a priori, tout est en place mais où en réalité tout glisse. Reprenant l’histoire du paysage là où Poussin et Elsheimer, Vernet et Wolf l’avaient laisée, Jidé joue de diverses ruptures de pentes et de plans. Nous sommes impliqués dans un cycle biologique et tectonique où le paysage en mutation devient le guetteur des âmes d’improbables et minuscules passeurs qui le traversent çà et là.

Par un effet de couleurs distribuées selon placages et plans contrastés, l’œil qui souvent butine et virevolte, toujours pressé, est obligé de s’arrêter. Face à lui, Jidé ouvre le paysage à son extraterritorialité. Émane alors un récit plutôt que la nature elle-même, puisqu’avant de la représenter, celle-ci devient langage et subvertit les notions de décor, d’ornementation et d’apparence. Le paysage mute de la simple représentation vers la « re-présentation ». Entre les deux le pas est immense.

Elle différencie le travail du faiseur et celui du créateur, comme celui du deuil et celui de la mélancolie. Une telle peinture oriente vers on ne sait quels abîme ou faille. Elle est là, sous les paupières. Preuve que Jidé est peintre « du » paysage et non « de » paysages. Le regardeur sort du simple décor par ce retournement qui le conduit du dehors au dedans, entre extase et détresse.

Pourquoi cet attrait pour le paysage ?

Le paysage est un peu comme l’écoute d’une musique, le regarder procure directement une émotion et ouvre le champ des possibles.

Qu’envisage votre peinture ?

Les personnes qui voient mes toiles ont tendance à faire un parallèle avec mon métier d’architecte. Personnellement, ce que je perçois dans ma peinture est un plaisir similaire entre la composition et l’équilibre des formes, entre les couleurs et la lumière. En architecture, je tente de les fabriquer et en peinture de les reproduire. Mais il est vrai que je suis assez fasciné par les plans de cadastres : ce sont les parcelles qui façonnent le paysage des Hommes. Mes collages peuvent également être vus, d’une certaine manière, comme de petites parcelles qui façonnent mes toiles. Je mets toujours au moins un personnage dans mes tableaux ; il représente en quelque sorte le lien que je peux avoir avec eux. Le personnage est le témoin de ce que je voulais faire au départ, de l’intention que je voulais mettre sur la toile et de ce qui, au final, s’y trouve et qui peut être assez éloigné de l’envie initiale. Souvent, des collages incongrus se fondent aussi dans le tableau, comme une chaise dans un champ ou un voilier dans un ciel. Pour comprendre réellement ce qu’ils sont, il faut prêter une attention particulière. C’est en quelque sorte ma façon de dire qu’il y a plusieurs manières de regarder une même chose. C’est comme cela que j’aime regarder le monde.

Votre peinture serait-elle différente des autres arts par la perception du monde qu’elle propose ?

En comparaison avec les autres arts, je dirais que la musique est une émotion brute, la sculpture apporte un plaisir sensoriel, la photographie capture l’instant et la danse, à laquelle je suis particulièrement sensible, procure le simple plaisir d’être vivant. Ma peinture est un moyen d’expression pour dire toute la beauté que je perçois et ainsi raconter mes envies d’espace.

Quel lien extérieur existe-t-il avec vos toiles ?

Il existe un lien particulier qui peut se créer entre celui qui regarde et la toile. Le dehors et le dedans sont intimement liés et prennent sens dans une interrogation subjective.

Jidé est représenté par la Galerie Ruffieux-Bril.

Image à la Une : Jidé – Le dernier, 60 x 60 cm.

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